Carl Miller, Edna Purviance

Une composition cinégraphique de Charlie Chaplin

Paris, Mars 1923

Nous sommes à même de donner aujourd’hui quelques renseignements sur le film qu’est en train de tourner Edna Purviance, la charmante étoile, sous la direction de Charlie Chaplin.

Le titre en sera Public Opinion (L’Opinion publique).

Cette production, qui est déjà très avancée, et que pour le moment, on appelle « Destinée », sera réalisée en dix parties et présentée par les « United Artists ».

« Public Opinion » constitue un nouveau genre, tant dans la structure de l’intrigue que dans la présentation et dans le thème développé, cette production promet de révolutionner le genre cinégraphique. Chaplin lui-même insiste sur le fait que c’est (et deloin) sa contribution la plus importante à l’art cinégraphique. Dans cette production, on a introduit un nouveau procédé dans la manière de jouer, ainsi d’ailleurs qu’une nouvelle formule de construction qui s’appuie sur la base et la compréhension mêmes de la vie. Ceci, d’après un point de vue qui est bien plus du domaine de la psychologie que du domaine des grands discours. Elle présente un problème et l’a expliqué de façon fort intéressante plutôt qu’elle ne le résout. Dans toute la pièce qui vibre tour à tour d’humour, de pathétique, de tragique et de beauté, on rencontre le portrait exquis d’une âme féminine, mise à nu dans ce qu’elle a de sincère bien qu’elle garde sa propre individualité.

Le thème est surprenant et rendu plus frappant encore par son extrême simplicité et la grande chaleur des sentiments qui l’imprègnent. De même qu’elle marque lé premier pas de Chaplin dans le drame sérieux, cette production ouvre une nouvelle carrière à l’industrie cinématographique, et le nom de Chaplin est suffisant en lui-même, pour être accueilli comme celui d’un bon chaperon. « Public Opinion » absorbe le célèbre acteur plus qu’aucune de ses productions précédentes. Toute la journée, il est au studio. Il y travaille souvent très avant dans la nuit avec Monta Bell, qui l’aide dans la préparation de son œuvre. Son désir de perfection est tel qu’il lui est arrivé de passer deux semaines à la mise au point d’une seule scène.

Parlant de cette production, Chaplin dit:

«— Je pense que « Public Opinion » sera l’œuvre la plus importante de toute ma carrière. Nul plus que moi ne comprend jusqu’à quel point je me montre révolutionnaire en adoptant ce genre original de construction. Et cependant j’ai toute confiance dans le public. Jamais je n’ai cherché à lui imposer silence, comme jamais je n’ai cherché à l’enjôler, Le public ne doit pas être traité de cette manière,

« Je m’efforce de rendre, dans la mesure de mes moyens, une histoire intelligente et sincère et si je réussis à conserver la confiance que j’ai en moi, je ne crains rien de la réception par le public. Que cette production soit quelque chose de magnifique ou que ce soit un four grandiose, il n’en restera pas moins qu’il y aura de l’originalité dans la manière de conduire le jeu, et dans la manière de présenter l’action

« Il n’y aura pas d’armées, pas de décors énormes, pas plus qu’on ne rencontrera d’effets compliqués. Dans toute l’action, on trouvera uné note poignante de souffrance et de joie humaine, et aussi de l’humour. Je n’ai aucune idée de ce que coûtera cette production et je n’en saurai rien avant qu’elle soit terminée, mais j’espère la faire aussi parfaite que je pourrai, quel que soit le prix qu’elle coûtera.

« On s’est demandé souvent si j’avais l’intention de paraître dans le film. Je n’y paraitrai pas parce que l’histoire, telle que je la vois, ne comporte pas de place pour mon personnage. Et j’en suis très satisfait, car je veux que l’intrigue parle d’elle-même sans qu’elle soit influencée par l’introduction de mon propre personnage On serait toujours tenté d’adapter le thème de mon rôle.

« Je n’ai pas cependant l’intention d’abandonner l’écran, et dès que cette production sera faite, mon projet est de me remettre à produire immédiatement ».

C’est, en soi, véritablement, une œuvre artistique digne de Chaplin que de ne pas paraître dans ce film que tous ceux qui ont pu voir jugent être supérieur à tout ce qu’il a fait,

Si on tient compte de la sincérité et de l’énorme attention que lui a donnée: Chaplin, il semble que « Public Opinion » constituera la réponse de Chaplin à l’interrogation que l’on se pose sans cesse : « Que sera le cinéma dans l’avenir ? »

Une réponse du plus grand artiste qu’ait produit l’industrie du film est de la plus grande importance.

A côté d’Edna Purviance qui, dans cette production, joue pour la première fois le rôle d’étoile, on trouve Adolphe Menjou. D’autres personnages importants sont Carl Miller, Lydia Knott, Harry Northrup, Malvina Polo et d’autres encore dont les noms sont bien connus dans le monde du film.

Pour la production, les collaborateurs de Chaplin sont Alfred Reeves, directeur général, Eddie Sutherland, aide de M. Chaplin, Arthur Stibolt, directeur technique et directeur artistique. Henry d’Arrast et Jean de Limur donnent leurs conseils pour les détails concernant les mœurs et les usages de la France où se déroule l’action. La photographie est entre les
mains de Roland Totheroh aidé de Jack Wilson.

Noel Eldob
(Cinémagazine)

En tournant Le Cirque

Sous la conduite de mon ami Reeves, directeur du Chaplin Studio, j’ai fait le tour de l’établissement où tant de chefs-d’œuvre ont été réalisés. On y respire, à la vérité, une atmosphère inaccoutumée de paix et de tranquillité.

Au milieu du studio se dressait alors une grande tente circulaire.

— Il y a neuf mois qu’elle est là, me dit mon guide; il est vrai que c’est un décor qui ne s’abîme pas, et plus il est vieux, plus il est dans la « note ».

A l’intérieur de la tente, la piste ronde, où le sol était couvert d’une épaisse couche de sciure; les gradins, les banquettes sentaient cette indéfinissable odeur de cirque, unique au monde : effluves de fauves, crottin, poussière… misère.

Dans le fond, non loin d’une petite plateforme où quelques personnes s’agitaient autour de deux appareils de prises de vues, on pouvait voir une de ces grandes cages grillées, montées sur roues, où l’on transporte les fauves; un réflecteur trouait la pénombre de son faisceau lumineux, découvrant à nos yeux un lion, adulte qui somnolait paresseusement.

Le dompteur, capitaine Cay, entrait dans la cage, tandis que Merna Kennedy, qui joue dans le Cirquele principal rôle féminin, s’amusait avec le petit bull-dog Buddy, tout en suçant un citron pour se rafraîchir. Les cheveux d’un roux flamboyant avaient, dans la lumière, des reflets de bronce, et ses yeux maquillés de vert lui donnaient un regard étrange. Henry Bergman, l’éternel et comique compagnon de Charlie, Harry Crocker, son assistant, s’agitaient. Je m’assis…. et c’est alors seulement que je découvris, dans l’ombre d’un camera, une petite silhouette aux cheveux noirs grisonnants, au col jauni de maquillage, au pantalon minable, tombant et couvrant à moitié les souliers éculés et trop grands.

C’était Charles Spencer Chaplin. Par une chance inespérée, il s’apprêtait à jouer une scène. J’aurais aussi bien pu tomber un jour où, ne se sentant pas en forme, l’illustre acteur serait parti pêcher à la ligne, mais les dieux me favorisaient, et j’assistai, ce jour là, à une des plus amusantes scènes de son film, une de celles qui ont trouvé grâce devant les impitoyables ciseaux de leur auteur. Sur les 65.000 mètres de négatif qu’il a tournés, il en a, en effet, supprimé plus de 60.000!

La scène en question était celle où, se promenant dans les coulisses du cirque, Charlot, l’éternel et pitoyable vagabond, finit par se trouver enfermé dans la cage du lion. Ce dernier dort paisiblement dans un coin, et Charlot regarde comment il pourrait s’échapper, quand le fauve est réveillé par un petit bull-dog qui, apercevant son ami, saute contre les barreaux de la cage en aboyant à toute gueule.

La méthode Charlot n’est pas de se presser, aussi je vous laisse à penser ce qu’il a pu inventer d’effets comiques sur ce seul passage; on aurait pu en faire un film complet.

Le plus difficile fut de trouver le moyen de faire sortir le lion de son indifférence. Depuis longtemps, l’odeur humaine ne correspondait plus, pour lui, à l’idée de repas et ne lui faisait plus aucun effet. Il fallut essayer d’autres effluves — ail, oignon, viande, eau de Cologne — pour le tirer de sa torpeur.

Puis on changea le lion de cage, afin de pouvoir répéter en toute sécurité la scène et calculer chaque pas et chaque geste. Charlot se mit même à jouer le rôle du lion, pour expliquer au dompteur ce qu’il voulait de lui. Il s’étirait, bâillait, rugissait, se frottait contre les barreaux de la cage en grognant et montrant les dents; Crocker l’excitait du crochet et du fouet, maïs « Charlot lion », de mauvaise humeur, bondit sur le dompteur improvisé, le mit en fuite.

Puis on remit le fauve dans la cage, afin de tourner réellement la scène.

— Attendez une minute, dit Chaplin, attendez que je me sente drôle.

Il fait quelques pas et se retourne, la figure illuminée d’un large sourire.

On tourne. C’est, pour nous tous, une chose angoissante que de voir le grand acteur à la merci du fauve, et grande est l’impression de soulagement quand, la scène finie, nous le voyons en sécurité hors de la cage.

— L’haleine d’un lion, dit-il, n’est pas particulièrement agréable à sentir.

Mais c’est l’heure du repos, et Charlot, redevenu Charlie Chaplin, m’emmène prendre le thé; nous passons par sa loge, banale et simplement meublée. Bâtons de fard, glaces, vaseline. Sur une planche repose un peu de laine noire montée sur un peigne blanc: ce sont les fameuses moustaches de Charlot. Une petite fenêtre pourvue d’un rideau: c’est par là que Chaplin, qui n’aime pas les entrevues avec des inconnus, observe les acteurs qu’il veut engager, tandis que M. Reeves se promène avec eux de long en large, sous la fenêtre.

— Après tout, dit-il, il n’y a pas de dames ici, un bain de soleil me fera du bien!

En une seconde, le voilà nu jusqu’à la ceinture; il ne garde que son pantalon et ses vieux souliers, et nous passons dans la salle à manger. C’est la pièce la plus intéressante du Studio, car c’est là que le grand acteur étudie ses jeux de scènes et ses scenarii jusque dans les moindres détails. Une petite table est, à cet effet, dressée au milieu de la pièce, et, d’habitude, Charlie marche nerveusement de long en large, tandis qu’un Secrétaire note ce qui lui vient à l’esprit.

Dans un coin se trouve le buste de Chaplin, par Clare Sheridan:

— C’est vraiment très pratique, dit son assistant en riant, quand nous venons de nous disputer avec le patron, nous pouvons venir devant le buste et l’injurier tout à notre aise… Après quoi, nous sommes soulagés.

Notre irruption avait troublé dans son sommeil un vieux chien qui gisait sous la table, gras, vénérable et léthargique.

— Ce fut le héros de Une Vie de chien, m’expliqua Chaplin; je n’en ai jamais eu besoin depuis, mais je le garde tout de même; il est maintenant vieux et neurasthénique et se sauve quand on l’appelle. La nourriture est sa seule joie, et, sans doute, pour que nous le trouvions là, avait-il flairé par ici quelque chose à se mettre sous la dent.

A peine étions-nous assis que la conversation dériva sur le théâtre:

— Le théâtre moderne est en pleine déchéance, dit Chaplin. A New-York, ce sont maintenant les directeurs de théâtre qui indiquent aux auteurs comment ils doivent écrire leur pièce. Ils leur disent: « Cher ami, il faut changer ça de telle façon; nous connaissons notre public et ses goûts; si vous ne relevez pas votre deuxième acte de la manière que je vous indique, ce-sera un four noir. Ne vous faites pas de bile, vous avez mis deux ans à écrire votre pièce, mais en cinq minutes je vais vous arranger ça. » Et je ne crois pas qu’ailleurs la situation soit bien meilleure. Il y a vingt ans, il y avait, sans aucun doute, de grands acteurs, mais, hélas! le théâtre moderne s’en va à vau-l’eau.

— C’est exactement la même chose dans notre partie, lui répondit Crocker, mais vous avez la chance d’être indépendant.

— Dieu merci, repartit Chaplin, je n’ai à demander l’avis de personne. Il y a peut-être des gens beaucoup plus forts que moi; ils connaissent, sans doute, le cinéma beaucoup mieux que moi au point de vue commercial, mais je ne pourrais faire un film avec les idées d’un autre.

« Je suis très heureux comme je suis et ne voudrais, pour rien au monde, jouer de nouveau au théâtre. J’ai toujours eu le trac; la présence de ia foule m’a toujours produit une impression pénible, et, depuis que je fais du film, je m’en suis tout à fait déshabitué. Mais, peut-être, un jour, aurai-je la faiblesse d’écrire une pièce; je crois que j’y prendrais plaisir. »

— Referez-vous jamais un film du genre de l’Opinion publique? lui demandai-je.

— Il se peut, me répondit-il; le jour où j’aurai une idée, je le ferai certainement. Pour l’instant, mon prochain film sera le Suicide Club. Peut-être le ferai-je à Londres, si je peux y trouver un bon studio; je dois aller en Angleterre, de toutes façons, pour la présentation du Cirque ; je tâcherai d’en profiter pour m’organiser.

Et, ce disant, Charlot releva ses larges pantalons pour enlever les guêtres de cuir épais qui devaient le protéger contre les morsures éventuelles du lion et qui le gênaient.

L’Estrange Faucett
(Ciné-Miroir, Paris 2 Mars 1928)

(testo archivio in penombra)

L’arte di Charlot

Charles Chaplin Jean-Louis Barrault

di Jean-Louis Barrault

Charlot non fa un gesto che non sia un simbolo; un esempio fra mille: in un film, non mi rammento quale, Charlot finisce di confessarsi: esce purificato, con le mani giunte, gli occhi al cielo… viene avanti…, inciampa e cade! Ritorno alle leggi di gravità, conflitto fra la materia e lo spirito.

Un metafisico potrebbe dissertare a lungo sull’argomento; Charlot lo affronta e lo risolve nel modo più semplice e familiare del mondo.

Il gesto che fa esplodere il simbolo provoca il riso. Senza il valore simbolico del gesto, Charlot non sarebbe che un pagliaccio: invece è un genio.

Ma osservate come tutte le sue figurazioni rimangono vicine alla vita quotidiana: Charlot aspetta il tram nell’ora di punta del traffico. Tutte le persone si precipitano; lui resta solo sul marciapiede. Secondo tram: passa un vettura e gli impedisce di salire. Terzo tram: Charlot prende lo slancio; salta al di sopra delle teste, calpesta i crani, penetra nel primo carrozzone.  La folla lo segue. La macchina da presa indietreggia: si vede allora Charlot sospinto dall’ondata di passeggeri. Arriva all’altro capo del carrozzone, e si trova proiettato sul marciapiede. Morale: i primi saranno gli ultimi. Sembra una favola di La Fontaine; e come è semplice! Charlot non si stacca di un centimetro dal più umile territorio e serba sempre la sua profondità.

Ma quel che mi interessa di più non è tanto il creatore, il poeta moralista, quanto l’attore. Charlot ha trovato ciò che noi cercavamo invano: ha trovato il suo personaggio. Questa difficile ricerca è il dramma proprio dell’attore. Ai suoi esordi, egli cerca la propria personalità; né è preoccupato di continuo. « Questa parte non la sento. È contraria alla mia personalità ». Poi quando crede di esser riuscito a stabilirla, cerca il modo di servirsene, vale a dire le parti che corrispondono alla sua natura. Quello che gli ci vuole è un personaggio. Come Molière ha creato il Misantropo, l’Avaro, personaggi che possono adattarsi a un gran numero di situazioni, così Charlot ha creato un personaggio che può adattarsi a parti multiple pur restando sé stesso, un personaggio astratto e vivo nel medesimo tempo. Per noi attori questo è il colmo della riuscita.

La facoltà di adattamento di questo personaggio è inaudita e dipende dal fatto che la mimica di Charlot è basata su una tecnica straordinaria. La mimica di Charlot va dall’immobilità alla danza. Nel Dittatore, Charlot guarda bruciare la sua casa; è visto di schiena: non si muove affatto; e in quella schiena vi sono tutti gli elementi tragici di una lunga tirata. Chaplin raggiunge l’apice della mimica che è l’immobilità.

Ma sa raggiunge anche la voluttà corporea, così che il suo gioco partito da un certo realismo sbocca nella danza pura. Ricordate un’altra scena del Dittatore, quando Charlot riceve un colpo di padella sulla testa; egli compie lungo l’orlo del marciapiede una danza che sfido qualunque ballerino a eseguire.

Infine, senza volervi far penetrare nell’officina della mimica, vorrei farvi notare che tutti gli atteggiamenti di Charlot sono sintetizzati nel suo torso, che tutti i movimenti sono irradiati da questo centro verso tutte le altri parti del corpo contemporaneamente. Se Charlot fa l’ubriaco, non rappresenta un uomo con le gambe vacillanti, lui è ubriaco dalla testa ai piedi, è come un astro che gira.

E non strafà mai! In lui, il senso della brevità non viene mai a meno. Dove chiunque altro gesticola due minuti, Charlot si esprime in quindici secondi.

Per noi attori, egli è un esempio di economia. Ci invita di continuo a rimanere fedeli all’essenza medesima dell’arte drammatica che è interpretazione, e ricreazione della vita attraverso il suo principale strumento: l’essere umano.

Ma la sua vera grandezza appare con evidenza a tutti: il più piccolo dei suoi gesti rivela interamente un cuore e un pensiero infinitamente fraterni.

(da una conversazione improvvisata di Jean-Louis Barrault al suo pubblico – archivio in penombra)