Pendant que l’on tourne Kean

Montreuil, Mai 1923

Après Le Chant de l’Amour Triomphant, dont nous avons eu l’occasion de parler, et qui fait revivre devant nous l’époque poétique de la Renaissance italienne, voici que la Société « Albatros » tourne un scénario tiré de Kean, d’Alexandre Dumas. et dont elle a confié la mise en scène à M. Alexandre Volkoff, le créateur de La Maison du Mystère. Ce nouveau film va évoquer, devant les yeux des spectateurs, la vie de Londres au début du siècle dernier.

Le public ne se doute jamais de l’énorme travail de préparation qu’exige la mise en scène des films qui se passent à des époques différentes de la nôtre. Pendant des semaines et des semaines, j’ai pu voir MM. Volkoff, Mosjoukine, le principal interprète, Lochavoff, le décorateur d’« Albatros », entourés de nombreux techniciens, étudier d’après les documents de l’époque, la vie, les costumes, les intérieurs d’il y a cent et quelques années. C’est seulement à la suite de ce minutieux travail que l’on a préparé les maquettes des décors et des costumes. Les soins que l’on devait y apporter étaient d’autant plus délicats que, en plus des scènes de la vie de la grande société londonienne et des tavernes de matelots, on verra reconstitué sur l’écran le fameux théâtre de Drury-Lane, avec sa salle de spectacle au cours des représentations de Roméo et Juliette et d’Hamlet.

Fidèle à sa tradition artistique, la Société « Albatros » a particulièrement soigné ce côté de la mise en scène. Non moins brillante sera la distribution qui réunira sur l’écran les noms de nombreuses vedettes internationaies. En effet, jamais peut-être jusqu’à présent, un film n’a groupé autant de représentants de différentes nationalités. Nous y verrons les Russes, Ivan Mosjoukine, dans le rôle de Kean; Nicolas Koline, dans celui du souffleur Salomon ; Nathalie Lissenko (la comtesse de Koefeld), les Français Bras et Deneubourg ; le Danois Otto Detlefsen, (le Prince de Galles) ; le grand artiste et scénariste anglais, Kenelm Foss, (Lord Mewil), et la toute gracieuse jeune Anglaise Mary Odette, dans le rôle tragiquement sentimental d’Anna Damby.

Depuis trois semaines, le studio de Montreuil est de nouveau empli de ce bourdonnement de travail actif et ordonné qui caractérise si bien l’homme méthodique qu’est M. Volkoff. J’aurais bien voulu m’entretenir plus longuement avec lui, mais on n’ose pas l’aborder tellement on le voit surchargé de besogne. C’est tout juste si j’ai réussi à échanger quelques paroles avec lui.

— Eh bien, cher Monsieur, lui dis-je, vous devez être aux nues. Si je ne me trompe, Kean est un sujet qui, depuis longtemps, vous tentait au même titre que notre ami Mosjoukine.…. Je crois que vous voilà entouré de tous les éléments de succès.

— Oui, mais cette mise en scène est hérissée de difficultés. Vous avez vu ce que nous avons eu à faire pour les décors et les costumes. Mais ce n’est gas tout. II y a encore la question des usages et du maintien qui n’étaient pas, il y a cent ans, ce qu’ils sont maintenant. Ceux qui voudront, dans l’avenir, reproduire notre époque auront, certes, plus de facilités que nous, car il n’auront qu’à revoir les films contemporains pour avoir une image vivante de notre temps. Nous n’avons pas, hélas! cette ressource. D’ailleurs, le travail n’en est peut-être que plus intéressant. Surtout n’oubliez pas de dire l’accueil charmant que nous avons trouvé partout où nous avons porté nos pas à la recherche d’une documentation authentique. À ce point de vue, l’Administration de la Bibliothèque Nationale a été particulièrement aimable puis-qu’elle nous a autorisés à faire prendre par notre opérateur des photos de sa collection d’estampes. Mais excusez-moi, voilà que mes appareils sont en place; je vais recommencer le travail. Ne vous gênez pas, vous êtes chez vous ici. Promenez-vous à votre guise, observez et merci de votre visite.

C’est une scène dans le vestibule de la maison de Kean. Le célèbre artiste est harcelé par ses créanciers qui tentent d’envahir sa demeure et de se saisir de ses meubles. Très ennuyé, Kean ne sait que faire, çar il n’a pas sur lui l’argent nécessaire. L’aura-t-il jamais, lui qui dépense son argent aussi facilement qu’il le gagne? Soudain, une idée ingénieuse lui vient. En un tour de main, il a fait endosser une peau de tigre à son fidèle Salomon, le souffeur de théâtre de Drury-Lane qui, jusqu’à la mort, restera entièrement dévoué à celui qu’il considère comme la plus grande gloire du Royaume-Uni. Et tandis que Kean se cache derrière une colonne pour ne rien perdre de la scène burlesque qui va se dérouler, Salomon rugit terriblement, fait des bons de félin et menace de ses griffes les créanciers terrorisés qui s’empressent d’abandonner la place.

Dans cette scène, M. Koline est réellement inénarrable. Cet artiste nouvellement venu au cinéma, puisque La Maison du Mystère à été son premier film, s’affirme de plus en plus comme une des plus brillantes vedettes de notre écran.

Quant à M. Mosjoukine, il ne vit actuellement que par son rôle dont il étudie et discute les moindres nuances. Le maquillage n’a pas de secret pour lui et il a su se composer des têtes remarquables.

— Que tout cela est compliqué, me dit-il, pendant un arrêt de son travail. Je crois comprendre Kean et le sentir, mais il y a le public… Saurai-je l’atteindre à travers l’écran. Kean est un acteur. Dans l’expression de ses sentiments les plus sincères, les plus profonds, lès plus intimes dans la tristesse, comme dans la joie, dans l’amour comme dans la colère, il reste acteur jusqu’à la moëlle des os, exalté, exubérant, souvent esclave du geste. Saurai-je faire voir ce personnage aux spectateurs des salles Telle pose naturellement affectée chez lui ne paraîtra-t-elle pas bouffonne au grand public ? Un rien, une demi-nuance pourra fausser le résultat que je cherche à atteindre. Et cette question me préoccupe vivement.

Je le regarde s’en aller de son pas alerte, et je me dis qu’il ne changera jamais. Car, dans tous ses rôles, je l’ai vu s’incorporer ainsi entièrement à son personnage, traverser les mêmes transes. N’est-ce pas là le propre d’un véritable artiste?

Et voici Miss Mary Odette qui nous apporte la grâce et la jeunesse de son sourire charmant, la simple et sincère éloquence de son regard: Combien gentiment elle se prête aux exigences de M. Volkoff et se joint à ses efforts pour vaincre, par la bonne volonté et la sensibilité artistiques, les durs obstacles que dresse entre eux la différence de langues…

Je quitte Montreuil impatient d’y retourner à la prochaine occasion, impatient surtout de voir à l’écran le beau film que sera Kean.

V. Mery

La fine del film comico?

Torino, maggio 1923

Ne abbiamo pochine in Italia: Il nostro paese che — agli inizi — è stato il primo in tutte le varietà della produzione cinematografica, sembra che, ora più che mai, si lasci andare al suo temperamento drammatico.

Da noi ora si va al cinematografo sempre un po’ colla paura di uscirne male. Per quel che si vede: artisti drammatici, veri manichini che lasciano freddi quando l’autore, con qualche spunto macabro, non si incarica di dare il raccapriccio, oppure… Oppure niente.

La cinematografia nazionale d’oggigiorno è tutta lì.

Ma prima non era così. Prima l’artista obbediva al lavoro, a qualsiasi lavoro. Ora il lavoro si fà per i begli occhi dell’artista: che, per essere veramente belli, vanno, si sa, o lampeggianti di passione o madidi di pianto. E vien proprio voglia di gridare: un po’ di serietà; via, fra tanta tristezza e tristizia!…

La vita, anzitutto, non è e non deve essere tutta eccezione, tutta passione. E il cinematografo deve — più che altro, ed è forse il suo unico scopo — rappresentarci la vita in quei particolari aspetti esteriori cui l’arte, unilaterale, non giunge. Si vuol fare invece dell’arte pura e si fanno delle pure assurdità, corruttrici del gusto del pubblico, quando non sono addirittura stomachevoli. Che sarebbe il meglio, perché il pubblico farebbe presto giustizia.

Ma giustizia la fa, sin d’ora, disertando la produzione nazionale e preferendo il film — che so io — tedesco o americano. Lasciamo stare il film tedesco, film puramente decorativo e artificioso. Vediamo il film americano. È molto lontano dal nostro gusto, ma, nonostante, riesce a insinuarvisi. Ora vi si è già installato.

E si capisce. Non parliamo dei film acrobatici di avventure, terribili e bonarie, che, in ogni caso, spianteranno il latino film poliziesco e brutale. Parliamo del film americano caratteristico; caratteristico perché a somiglianza della mentalità anglosassone, concepisce la vita solo attraverso l’humour: umoristicamente, cioè come va concepita. Queste films ruberanno tutto il pubblico alle nostre. E la colpa sarà tutta nostra.

Perché di film piacevoli l’Italia né produsse molte. Il burlesco è anche nel nostro carattere, il comico è pure nel nostro istinto. Ma non vogliamo consigliare il facile riso che destano le maschere e i pagliacci. È la vita che di per se stessa è — se non lieta. — certo comica e sentimentale in un punto.

Comico-sentimentale. Con. questa denominazione impropria ma efficace, corsero l’Italia parecchie bei film, un tempo. Ed avevano in sè tutti gli elementi dell’umorismo. Questo è latente nell’anima di tutti. E divertivano il pubblico. La prima Casa torinese di film ne editò parecchi e non erano inferiori a quelli americani che vennero di poi.

Anche la Francia ebbe una produzione semi-umoristica col concorso di buoni comici provenienti dal teatro e ritornati poi a questo. Le ultime pochades che sotto il nome di una vecchia Ditta francese si proiettarono, riuscirono di esecuzione pietosamente commerciale. Altre, che si fecero in Italia, le superavano di gran lunga.

Infine, gli ultimi generi non precisamente atroci di film italiana, furono quelli tracciati da un noto scrittore romano. E piacquero perchè erano scaltramente confezionati: con quel tanto di decorativo, di comico e di passionale, in dose giusta, che occorre a tutti i pubblici. Ma trovata la ricetta, i lavori si susseguirono stereotipati. Al primo il pubblico si divertì, al secondo tollerò, al terzo sbadigliò. Ed anche questi film sono destinati a scomparire se mon si muta la ricetta.

Gironzola ancora qua e là qualche: film pagliaccesco e acrobatico. Non basta per far ridere; basta per far ridere della cinematografia italiana, che si ripete ora, uniformemente unilaterale, stupidamente tragica.

Si dirà che è il pubblico a preferire la passionalità cieca e irruente al sottile umorismo. Ma l’umorismo — l’abbiam detto — è latente; così che non abbiamo che a esibirlo per farlo ricordare e amare.

Artisti, non ne parliamo, se ne troverebbero a iosa e uno o due di quelli che già recitano dimostrano per l’humour una disposizione speciale.

Dunque: una difesa e una riconquista commerciale da compiere. Un equilibrio e un risanamento nel gusto del pubblico. Il pianto non può far del bene che come sfogo personale. Ma il pianto commerciale, il pianto per commissione, non può far che del male. Piangere non serve a nessuno. Il ridere ci rende migliori.

E se il film di buonumore o, meglio, il film umoristico, ricomparirà nella cinematografia italiana, sia pure imperfetto e grossolano da principio, noi saremo i primi a congratularcene.

Fantomas

Nazimova intime

Paris, Mai 1923

Nous demandions à la grande artiste qui va bientôt nous revenir avec « Maison de Poupée », version cinégraphique de la célèbre pièce d’Henrik Ibsen, quelle était sa recette de beauté et de bonheur. Voici ce qu’elle nous répondit:

« C’est le privilège de toute femme d’être belle, nous dit-on. Je prétends que c’est le devoir de toute femme! Mais ce devoir ne se résume pas au miroir, car la beauté est bien au-delà de l’épiderme…

« Vous vous rappelez la citation d’Addison: « Il doit plaire à Dieu lui-même de voir que ses créatures s’embellissent éternellement à ses yeux.» Mais qui nous dit qu’Addison ne voulait point parler de la beauté intellectuelle, ou de la beauté morale, ou de la beauté utilitaire?

« Que peut-on faire pour être belle? Pour notre beauté physique nous devons avec diligence observer l’abnégation dans notre vie quotidienne. Il faut se nourrir avec soin et intelligence et prendre de l’exercice régulier bien approprié. Pour la beauté intellectuelle et morale, il faut lire de bons et beaux livres et se mêler aux penseurs et aux travailleurs. Pour la beauté de notre âme, nous devons entendre de la bonne musique, vivre dans la compagnie des animaux et des oiseaux, aimer et respecter les petits enfants.

« En ce qui me concerne, je trouve mon plus grand bonheur — et quelle beauté vaudrait elle plus que le bonheur — en demeurant constamment active par l’esprit et le corps. Je me lève à sept heures et travaille jusqu’à sept heures et, si je n’ai pas à travailler la nuit, je me retire à neuf heures. Je m’efforce de remplir chaque jour ma pleine tâche, de lire beaucoup et bien, d’écrire un peu, de faire une heure ou deux de musique, des exercices en plein air —sans oublier un peu de temps pour les enfants et les bêtes favorites. »

Nazimova est arrivée aux Etats-Unis en 1904 avec une troupe russe, dont le principal acteur était Paul Orlener; elle joua d’abord dans un théâtre Yiddish de New-York.

Dés cette époque, comme le remarque spirituellement Herbert Howe, elle était spécialisée — même dans son propre pays — pour jouer les rôles d’étrangers. Aussi effective d’ailleurs dans la comédie que dans la tragédie.

Le Tout New-York alla curieusement voir, dans son faubourg, la brillante étrangère. Six mois après cette découverte, elle avait appris l’anglais — en prenant soin de conserver un léger accent — et abordait directement le public américain.

On dit qu’à cette époque Orlener et elle s’aimaient, mais que, prévoyant le brillant avenir qui attendait la jeune femme, il se sacrifia. Peut-être l’histoire a-t-elle été arrangée après coup…

Plus tard elle rencontra un acteur anglais, beau et imposant, qui fut son partenaire dans Trois Semaines. Elle l’avait déjà remarqué. Subjuguée par sa haute taille, son aspect dominateur, elle bondit sur une chaise et lui tendit la main.

Et ainsi Alla Nazimova devint Mrs. Charles Bryant.

Le premier grand succès de Nazimova fut Hedda Gabler. Celui qu’elle obtint dans le personnage principal de Bella Dona (d’après le roman de Hichens), souleva quelque scandale.

Nazimova vit pour son art, nous assure Herbert Howe. Arrêtez son activité et elle mourra d’ennui faute d’autre intérêt. Son attitude défiante, parfois ironique, cache mal sa sensibilité. Elle est extrêmement susceptible en matière artistique: les critiques hostiles la touchent vivement, sans qu’elle veuille le laisser voir. Elle ne craint pas les responsabilités; la seule déclaration qu’elle n’est pas capable de réussir tel ou tel essai suffit pour qu’elle l’entreprenne. En dehors du théâtre, pourtant, aucune obstination. En affaires, aucune capacité; elle n’a pas mis d’argent de côté jusqu’à son mariage.

Nazimova habite, à Hollywood, sur la route qui mène aux collines de Beverley, une grande maison carrée, imposante, dont les murs sont teints couleur crème et qu’entoure un délicieux jardin, plus clos et plus intense que ne le sont d’ordinaire ceux de Hollywood.

Le salon est éclairé, le soir, par la lumière ambrée de lampes, voilées de gazes mauves et noires; de grands divans pourpres, des laques, miroir voilé d’une dentelle d’or lui donnent une personnalité étrange.

La poignée de main de Nazimova est franche, directe — masculine.

Elle est toujours en mouvement. Quand elle est obligée de s’asseoir, ses pieds et ses mains ne cessent de bouger.

Sa recette pour conserver sa taille: Premier déjeuner, de l’eau chaude, avec un soupçon de citron.

Déjeuner, un œuf cuit trois minutes, une rôtie, une tasse de thé sans sucre.

Dîner, un peu de viande.

L’enfant chéri de Nazimova est Salomé. C’est l’œuvre qu’elle a réalisée selon ses idées, avec son propre argent.

« Ce qui rend malheureux les créateurs de l’écran, dit-elle, c’est l’impossibilité matérielle où ils peuvent se trouver d’exprimer ce qu’ils sentent. Un peintre peut réaliser son idéal en mourant de faim dans un grenier: il suffit qu’il ait des couleurs, des pinceaux, une toile. Que peut réaliser un artiste de cinéma, s’il n’a pas une fortune pour tourner un film?

« Aussi j’ai économisé l’argent que j’avais gagné en travaillant pour les autres. Une fois libre, j’ai rapporté cet argent à l’écran qui me les avait fait gagner. »

Ce qu’elle pense du Cinéma

A l’un de nos confrères qui lui demandait, ily a quelques temps ce qu’elle pensait du cinéma, Nazimova répondit:

« J’aime le cinéma. Encore que pour être digne de l’engouement du public il doive être fait de sincérité, comme d’ailleurs tous les autres arts.

« Voyez, je puis exprimer la tristesse, dit-elle en donnant un rictus à son visage; ou la colère — nouvelle grimace. Mais si je n’éprouve pas réellement de semblables sentiments au plus profond de mon être, je ne puis être qu’une quelconque cabotine.

« On doit vivre son personnage si l’on veut que le spectateur prenne intérêt à ce qui lui arrive au cours de l’intrigue. Bien des gens me disent: « Mais, comment pouvez-vous vivre un rôle au cinéma, alors que tant d’interruptions se produisent à chaque instant, que cela vienne des lumières artificielles, de l’appareil de prise de vues, de l’erreur d’un partenaire, d’une sortie intempestive au dehors du « champ »?

Mais, à bien réfléchir, on retrouve d’autres sources de gêne, différentes, mais aussi ennuyeuses, dans les autres domaines, à la scène surtout. Comme dans les autres arts, la sincérité, au cinéma, doit tout primer, je le répète. Je suis sincère devant l’appareil de prise de vues comme je l’ai été devant le trou du souffleur, et j’aime le cinéma tout comme le théâtre.

« En outre, je reconnais avec plaisir qu’au cinéma on peut parfaire tout à loisir son interprétation d’un personnage, tandis qu’à la scène, il n’y a plus revenir sur un jeu de scène, sur une tirade, une fois qu’on les a livrés au publie. Pour ma part, je n’hésite jamais à recommencer toute scène que je sens pouvoir parfaire si peu que ce soit. Evidemment cela entraîne à une consommation de pellicule qui peut paraître excessive, à première vue. Mais au total cela fait tant pour le renom de l’artiste qui se montre si difficile envers son propre travail que la compagnie à laquelle j’appartiens, entre autres ne m’a jamais reproché l’amas de pellicule que je laisse forcément de côté.

« Enfin, déclare Alla Nazimova, s’il est un défaut qu’on puisse reprocher au cinéma, du moins au cinéma actuel, c’est la fausseté, la convention des scénarios. Et, malheureusement, on ne peut réellement vivre son personnage que s’il agit conformément à la vie vraie, que s’il est constamment logique avec lui-même, logique avec la généralité des cas analogues connus. En tout cas, en ce qui me concerne personnellement, je m’estime très heureuse de la qualité des scénarios qu’il m’a été donné, depuis mes débuts à l’écran, de tourner. »

Comment elle tourne

« Rien n’est plus intéressant, racontait, il y a quelque temps Mme Howells, dans La Cinématographie Française, que d’assister à une scène de prise de vue avec Nazimova. Elle entre dans la peau de son personnage avec une conscience, un oubli des contingences extérieures vraiment extraordinaires. Oubliant tout ce qui l’entoure, elle est de toute son âme, de toute sa force à son rôle; aucune gêne, aucun préjugé mesquin, elle vit pendant un moment la vie du personnage qu’elle a décidé de représenter.

« J’ai eu le privilège de lui voir tourner quelques scènes de Hors la Brume et jamais je ne fus impressionnée aussi vivement.

« Nazimova, en fille de gardien du phare, vêtue de haillons et pieds nus, vaque aux soins du ménage; les pirates pénètrent dans la tour qui porte le phare, enferment le père et emportent l’enfant.

La lutte entre la frêle artiste et le rude marin est épique.

« Bien que le cinéma soit muet, Nazimova poussait des cris d’une violence à faire frissonner. Sa voix angoissante pouvait s’entendre à un un mille de là et les assistants sentaient leur sang se glacer. Elle se dégage, le marin la ressaisit de ses grosses mains velues. L’artiste se débat de plus belle; elle mord, elle griffe, elle frappe de toute la force de ses poings et de ses pieds, tant et si bien que le colosse est obligé de lâcher prise.

« L’appareil cesse de tourner; Nazimova demeure sans forces. Puis elle demande au marin: Vous ai-je fait mal? Je crois bien avoir frappé un peu fort…

« L’homme sourit tout en faisant la grimace et montre sur ses rudes bras les traces rouges laissées par les dents de l’artiste, et sur ses jambes de larges taches noires. « Vous êtes très réaliste, madame, dit-il, mais j’ai dû moi-même vous faire mal en vous serrant. »

« Nazimova fait un geste négatif et saute dans son cabinet de toilette achever son sandwich et changer de costume.

« Quelques minutes après elle apparaissait dans une robe merveilleuse d’un tissu châtoyant et constellé de pierreries. En la voyant ainsi éblouissante et radieuse, je ne pouvais me figurer que c’était la même femme qui, tout à l’heure, nous faisait frissonner en petite misérable sans robe et sans souliers…

« Mais c’est le secret de Nazimova d’être tour à tour, et dans la perfection, le ver qui rampe ou le scintillant papillon. »