Moulin Rouge E. A. Dupont 1928

Moulin Rouge E. A. Dupont

London, March 22, 1928. To-day (Thursday), at the Tivoli, at 2.30, the world premiere of British International’s new picture, E. A. Dupont’s Moulin Rouge, will open under the auspices of Wardour Films. Ever since Dupont commenced work on this picture in August last film circles have been anticipating to-day’s show. Wardours say that Moulin Rouge is the most ambitious and lavish production ever made by a British firm.

The opening scenes, which depict the world-famed Moulin Rouge of Paris, are said to be the essence of gorgeous spectacle, and well worthy of E. A. Dupont, whose famous production, Vaudeville can still be regarded as one of the greatest box-office attractions shown in this country.
(The Bioscope)

London, March 29, 1928. Points About Moulin Rouge

It seems to me a pity that when Moulin Rouge was re-edited, the drunken scene in which Eve Gray figures prominently was not entirely eliminated, and that the operation scene was not reduced to a mere suggestion.

Olga Tschechowa, as the principal of the show at the Casino de Paris, gave a very remarkable performance, full of feeling, powerful at times, but restrained when necessity demanded it.

Jean Bradin, the young French actor, is, to English eyes, an unsympathetic type, and it is doubtful whether audiences in this country will appreciate a hero who, when filled with despair, collapses upon his bed, and apparently bites the eiderdown!

Eve Gray, the Australian player, never seemed to me to understand what was expected of her, and the result was the presentation of a character almost entirely lacking in charm.

One of the best pieces of acting in the film was a little character sketch by Forrester Harvey. Although the brief scene in which he appeared had nothing whatever to do with the story, one wished one could have seen more of him.

E. A. Dupont, the German director, has chosen his types well. The crowds were obviously “picked,” and they were extremely well handled. The weakness of the story, and with the exception of Tschechowa, the weakness of the characterisation on the part of the principals, is what lets the film down.

There are many things in Moulin Rouge, however, which the clever exhibitor can turn to good account. Exploitation angles are fairly numerous and the title alone is a box-office asset.
Herbert Thompson (The Bioscope)

Paris, 15 Mai 1928. Le nouveau film de E. A. Dupont: Moulin Rouge

Chaque œuvre de E. A. Dupont porte la marque d’une forte personnalité d’artiste. Plus encore que Murnau avec lequel il a une certaine parenté, Dupont est véritablement l’auteur d’un style cinégraphique. Il pourrait fonder une école si le cinéma trop jeune ou trop entaché d’industrialisme avait ses Victor Hugo, ses Balzac, ses Verlaine. Variétés avait, en ce sens, provoqué une sorte de révolution. Il n’y manquait que le manifeste théorique pour prendre dans l’histoire du cinéma la place du Cid, de Cromwell, de la Comédie Humaine. Nous étions admirablement préparés par ce chef-d’œuvre de cinégraphie pure et tout prêts à l’enthousiasme. Moulin Rouge a paru. C’était le premier grand film de Dupont depuis Variétés. Il ne nous a pas déçus.

Evitons le jeu facile des parallèles et des comparaisons. Variétés est un modèle unique que nul jamais ne refera. Moulin-Rouge a voulu être autre chose et si nous y reconnaissons l’empreinte du maître c’est qu’elle s’impose avec une sorte de tyrannie dont lui-même n’a pas conscience; mais ce film, malgré quelques similitudes de milieu et de situation, renouvelle vraiment la manière de Dupont.

Variétés nous avait surtout offert une peinture de caractères dans le cadre pittoresque du cirque. Moulin-Rouge nous apporte surtout une peinture de milieu, le milieu du music-hall. Ici les individus semblent moins fortement dessinés, dominés qu’ils sont par la toute puissance du milieu où ils évoluent. Il y aurait donc une sorte de transposition psychologique qui perd peut être en profondeur mais gagne
en pittoresque.

L’héroïne de la douloureuse aventure, la grande vedette de music-hall Parysia nous apparaît dès le début comme faisant corps avec le milieu qu’elle anime et dont elle vit, matériellement et moralement. Rien ne peut l’en détacher, pas même l’amour maternel qu’elle ressent cependant avec une passion farouche. Parysia est l’expression symbolique de ce music-hall avec lequel elle s’identifie toute. Aucune douleur ne l’en distrait et — point culminant du drame —— quand elle apprend l’accident effroyable dont sa fille a été victime c’est encore son milieu qui la revendique, elle et sa pauvre douleur. La scène l’appelle, le public l’exige. Elle jouera comme tous les autres soirs masquant ses larmes sous le mensonge du sourire.

Est-ce bien l’idée de Dupont? Il me semble que cet asservissement d’une artiste au théâtre est le thème essentiel de son œuvre. C’est celui du moins qui lui a fourni les plus beaux accents, bien plus encore que l’idylle contrariée des deux jeunes gens ou la rivalité si noblement apaisée de la mère et de la fille.

Dans Moulin-Rouge la peinture du milieu est poussée au symbole. E. A. Dupont s’est complu, peut être trop parfois, à noter les nuances et à émailler sa description imagée d’observations personnelles. On a parfois l’impression d’un documentaire réalisé avec un double esprit scientifique et psychologique. Et c’est infiniment savoureux, d’autant plus qu’une fois l’action engagée — un peu tardivement — l’intérêt anecdotique et dramatique du sujet ne languit plus jusqu’au dénouement heureux.

Il faudra revoir Moulin-Rouge et plusieurs fois pour en découvrir toutes les beautés techniques et photographiques. Dupont y a prodigué des angles de prise de vues ingénieux. Mais le «clou» technique de son film c’est encore la poursuite et la collision des deux automobiles, page maîtresse qui prouve chez son auteur une hardiesse et une habileté incomparables.

L’interprétation n’a pas la merveilleuse homogénéité de celle de Variétés, mais elle révèle une grande, très grande artiste qui supporte à elle seule tout le poids du drame. Olga Tchekowa, a su donner, en effet, au rôle de Parysia toute sa force et toute sa beauté intérieures et son infinie expression humaine. Dans la scène du théâtre sa lutte contre sa propre douleur et sa propre défaillance fut suprêmement pathétique et émouvante. Nous en étions haletants, angoissés aux larmes.

Depuis l’abstention de Pauline Frédérick je ne vois qu’une artiste pouvant donner une telle mesure dans un rôle de pure tragédie.

Les autres rôles pâlissent nécessairement auprès de celui-là qui eut l’attention toute particulière de l’auteur-réalisateur. Eve Gray a du charme dans le rôle de la fiancée et Jean Bradin est élégant avec quelque froideur dans celui du fiancé.

Blanche Bernis, Georges Tréville et Marcel Vibert campent avec intelligence et simplicité des personnages de second plan.

Moulin-Rouge produit par la British International Pictures a été présenté par la jeune firme française Franco Film que nous devons chaleureusement remercier pour cette haute leçon d’art. Moulin-Rouge est un film qui honore le cinéma tout entier.
Edmond Epardaud (cinéa-ciné)

Roma, 13 gennaio 1929. Moulin Rouge (British International Pictures)

È un film eccellente che ha per sfondo l’atmosfera del grande Moulin Rouge parigino.

Parysia (Olga Tschechowa) è la grande stella del famoso Moulin Rouge di Parigi. Ricchissima, ammirata, idolatrata dagli spettatori, ella passa la sua vita fra il palcoscenico e gli ozi della sua sontuosa villa. Un giorno giunge nella grande città sua figlia Camilla, una graziosa signorina, che ha finito gli studi; ed è ora con lei il suo fidanzato, un giovane compagno dell’università, figlio di una nobile famiglia. Parysia accoglie i due innamorati nella sua casa con la più grande felicità e con tutto il suo amore di madre.

È a questo punto che dalle visioni grandiose e ricchissime degli spettacoli del Moulin Rouge, si precipita in pieno dramma. Il fidanzato resta infatti colpito, come tutti, dal fascino potente di Parysia e Parysia stessa è sedotta dall’ardore e dalla giovinezza esuberante del futuro sposo della figlia. La sua gioia di poter vivere presso i due giovani come una madre si è trasformata nella più crudele infelicità.

La critica situazione assume man mano svolgimenti inattesi, complicazioni impreviste. Si rasenta la tragedia. Ma la madre si sa infine sacrificare per l’avvenire della figlia tanto amata.

La vita spensierata del teatro riprende per lei il suo moto turbinoso e scapigliato e Parysia torna al suo pubblico che l’adora col sorriso sulle labbra: la felicità della figlia riaccende di gioia il suo cuore di mamma, mentre fuori, sopra la massa luminosa del fantastico teatro, girano lentamente le ali scarlatte del cuore di Parigi: Moulin Rouge!…

Il film, come si vede, è prevalentemente psicologico e i vari stati d’animo dei tre protagonisti, sono resi con mezzi di efficacia sicura. Alcuni primi piani sono di un’eloquenza straordinaria. L’interpretazione è perfetta e la messa in scena — intonata ad una ricchezza che pur essendo fastosa non è mai pesante — non potrebbe essere più accurata e più degna. Ottima la fotografia. Consensi vivissimi. Bene appropriato il commento musicale.

Vincenzo Genesi ha curato mirabilmente la stampa del film.
Vice (Kines)

Lo sconosciuto, Tod Browning 1928

Lon Chaney e Joan Crawford

È vero che per amore si commettono ogni sorta di pazzie! ma il caso che io sto per raccontare, per una sbalorditiva trovata — quintessenza di ciò che vi possa essere di più astruso — è nuovo.

Alonzo, bandito pericoloso, ricercato dalla polizia per ogni sorta di furfanterie, s’è rifugiato presso un circo, dove esercita una professione stranissima. Coadiuvato da Josè, piccolo gobbo, che ogni mattina gli fascia bene le braccia attorno al corpo, passa per un uomo privo degli arti superiori, deliziando così le folle con una serie di esercizi eseguiti coi… piedi.

Nessuno immagina che è falso monco, e da tutti è compassionato.

Un giorno — e questo capita anche ai banditi — Alonzo s’innamora della figlia del proprietario del Circo. Alla bella, gli sguardi pieni di cupidigia e le carezze lascive degli uomini, che vogliono cattivarsi la sua simpatia, fanno orrore. Anzi, la sensualità di un certo Malabar, lottatore, che ad ogni costo vuol farla sua, la rende paurosa ed ogni qual volta il lottatore cerca di sottometterla colle sue robuste braccia, impaurita, chiede difesa ad Alonzo, il quale (poverino!), suo malgrado, non può far nulla.

Una sera il bandito, liberatosi dalle bende, strangola, per vendicarsi di certi maltrattamenti, il proprietario del circo. La polizia sospetta di tutti, fuor che di lui, che, prese arie da protettore, vuol sposare la figlia della vittima.

Ma… c’è un ma! Sposandolo, lei s’accorgerà (di certo!) che possiede due braccia. Lo sospetterà assassino, ed allora addio amore.

Messo al bivio fra la donna e le braccia, opta per la prima; va da un chirurgo, col quale aveva conti in sospeso, e si fa mutilare!

Un mese di letto, poi tutto giulivo, coi suoi moncherini, va a cercare la sua futura sposa.

In questo periodo di tregua, però, lei ha cambiato opinione e convinta della forza erculea di Malabar, trova che non è poi cosa spiacevole essere… stretta da due braccia possenti, e cede alle richieste del lottatore.

Il povero Alonzo, non potendo più nemmeno strangolare il suo rivale, pensa di vendicarsi in un altro modo e durante uno spettacolo, con un trucco, tenta di ucciderlo, ma vittima del suo gioco rimane colpito lui stesso e muore.

Che inventiva! È, questo, Grand-Guignol da sbalordire Alfredo Sainati. Va bene che in tutto il canovaccio, Lon Chaney ha modo di dar saggio della sua potenza interpretativa e che più volte il grande attore fa dimenticare la balordaggine del lavoro presentato.

Ma fosse solo per più elementare senso di buon gusto, questa prova poteva essere risparmiata.

È giusto che in cinematografia si cerchi del nuovo ed io non sono certo il primo a sostenere questo. Che poi il nuovo lo si abbia a trovare lasciando in un canto ogni convenzionalità, sia pure per approfondire nel senso più veristico, è altra cosa.

Si è voluto ingentilire talvolta l’azione colorendo con toni e sfumature riuscite un episodio d’amore attorno al dramma e terminare il film con una scena patetica che voleva rappresentare il trionfo della vita dopo la morte di Alonzo.

Ma è umano che dopo aver esaltato il sacrificio mostruoso che il bandito s’impone, il lavoro abbia a terminare nel modo più roseo?

Perché si vuole un contrasto così violento? Si voleva provare che la giovinezza trionfa su tutto? E allora perché ci si insegna che il sacrificio redime e ci si presenta il caso più potente di volontà ferrea al servizio di una causa?

Io la penso così e volendo potrei trovare altre cose per dimostrare l’assurdità di ciò che si sostiene ma, come ho già detto, c’è un’attenuante poiché tutto è stato intessuto per dar modo a Lon Chaney, di dare l’ennesima prova della sua forza interpretativa, quindi ogni ulteriore discussione credo sia inutile.

Gli altri attori sono: Norman Kerry, quanto mai a posto nella parte a lui affidata, e Joan Crawford, graziosissima attrice, dotata di grazia finissima, che ormai è riuscita ad imporsi per l’efficacia e la misura colle quali sa plasmare i personaggi da lei creati.

La messa in scena (di Tod Browning) è accurata e di buon gusto.

Le innovazioni che si son volute portare alla fototecnica ed alla luministica non sempre hanno dato il risultato prefisso, ma nei primi piani le dissolvenze le trovai perfette.

Il nome di Lon Chaney attira le folle e la sala (Cinema Reale) era gremita, tanto alle rappresentazioni diurne che serali.

Ubaldo Magnaghi, Milano aprile 1928

En tournant Le Cirque

Sous la conduite de mon ami Reeves, directeur du Chaplin Studio, j’ai fait le tour de l’établissement où tant de chefs-d’œuvre ont été réalisés. On y respire, à la vérité, une atmosphère inaccoutumée de paix et de tranquillité.

Au milieu du studio se dressait alors une grande tente circulaire.

— Il y a neuf mois qu’elle est là, me dit mon guide; il est vrai que c’est un décor qui ne s’abîme pas, et plus il est vieux, plus il est dans la « note ».

A l’intérieur de la tente, la piste ronde, où le sol était couvert d’une épaisse couche de sciure; les gradins, les banquettes sentaient cette indéfinissable odeur de cirque, unique au monde : effluves de fauves, crottin, poussière… misère.

Dans le fond, non loin d’une petite plateforme où quelques personnes s’agitaient autour de deux appareils de prises de vues, on pouvait voir une de ces grandes cages grillées, montées sur roues, où l’on transporte les fauves; un réflecteur trouait la pénombre de son faisceau lumineux, découvrant à nos yeux un lion, adulte qui somnolait paresseusement.

Le dompteur, capitaine Cay, entrait dans la cage, tandis que Merna Kennedy, qui joue dans le Cirquele principal rôle féminin, s’amusait avec le petit bull-dog Buddy, tout en suçant un citron pour se rafraîchir. Les cheveux d’un roux flamboyant avaient, dans la lumière, des reflets de bronce, et ses yeux maquillés de vert lui donnaient un regard étrange. Henry Bergman, l’éternel et comique compagnon de Charlie, Harry Crocker, son assistant, s’agitaient. Je m’assis…. et c’est alors seulement que je découvris, dans l’ombre d’un camera, une petite silhouette aux cheveux noirs grisonnants, au col jauni de maquillage, au pantalon minable, tombant et couvrant à moitié les souliers éculés et trop grands.

C’était Charles Spencer Chaplin. Par une chance inespérée, il s’apprêtait à jouer une scène. J’aurais aussi bien pu tomber un jour où, ne se sentant pas en forme, l’illustre acteur serait parti pêcher à la ligne, mais les dieux me favorisaient, et j’assistai, ce jour là, à une des plus amusantes scènes de son film, une de celles qui ont trouvé grâce devant les impitoyables ciseaux de leur auteur. Sur les 65.000 mètres de négatif qu’il a tournés, il en a, en effet, supprimé plus de 60.000!

La scène en question était celle où, se promenant dans les coulisses du cirque, Charlot, l’éternel et pitoyable vagabond, finit par se trouver enfermé dans la cage du lion. Ce dernier dort paisiblement dans un coin, et Charlot regarde comment il pourrait s’échapper, quand le fauve est réveillé par un petit bull-dog qui, apercevant son ami, saute contre les barreaux de la cage en aboyant à toute gueule.

La méthode Charlot n’est pas de se presser, aussi je vous laisse à penser ce qu’il a pu inventer d’effets comiques sur ce seul passage; on aurait pu en faire un film complet.

Le plus difficile fut de trouver le moyen de faire sortir le lion de son indifférence. Depuis longtemps, l’odeur humaine ne correspondait plus, pour lui, à l’idée de repas et ne lui faisait plus aucun effet. Il fallut essayer d’autres effluves — ail, oignon, viande, eau de Cologne — pour le tirer de sa torpeur.

Puis on changea le lion de cage, afin de pouvoir répéter en toute sécurité la scène et calculer chaque pas et chaque geste. Charlot se mit même à jouer le rôle du lion, pour expliquer au dompteur ce qu’il voulait de lui. Il s’étirait, bâillait, rugissait, se frottait contre les barreaux de la cage en grognant et montrant les dents; Crocker l’excitait du crochet et du fouet, maïs « Charlot lion », de mauvaise humeur, bondit sur le dompteur improvisé, le mit en fuite.

Puis on remit le fauve dans la cage, afin de tourner réellement la scène.

— Attendez une minute, dit Chaplin, attendez que je me sente drôle.

Il fait quelques pas et se retourne, la figure illuminée d’un large sourire.

On tourne. C’est, pour nous tous, une chose angoissante que de voir le grand acteur à la merci du fauve, et grande est l’impression de soulagement quand, la scène finie, nous le voyons en sécurité hors de la cage.

— L’haleine d’un lion, dit-il, n’est pas particulièrement agréable à sentir.

Mais c’est l’heure du repos, et Charlot, redevenu Charlie Chaplin, m’emmène prendre le thé; nous passons par sa loge, banale et simplement meublée. Bâtons de fard, glaces, vaseline. Sur une planche repose un peu de laine noire montée sur un peigne blanc: ce sont les fameuses moustaches de Charlot. Une petite fenêtre pourvue d’un rideau: c’est par là que Chaplin, qui n’aime pas les entrevues avec des inconnus, observe les acteurs qu’il veut engager, tandis que M. Reeves se promène avec eux de long en large, sous la fenêtre.

— Après tout, dit-il, il n’y a pas de dames ici, un bain de soleil me fera du bien!

En une seconde, le voilà nu jusqu’à la ceinture; il ne garde que son pantalon et ses vieux souliers, et nous passons dans la salle à manger. C’est la pièce la plus intéressante du Studio, car c’est là que le grand acteur étudie ses jeux de scènes et ses scenarii jusque dans les moindres détails. Une petite table est, à cet effet, dressée au milieu de la pièce, et, d’habitude, Charlie marche nerveusement de long en large, tandis qu’un Secrétaire note ce qui lui vient à l’esprit.

Dans un coin se trouve le buste de Chaplin, par Clare Sheridan:

— C’est vraiment très pratique, dit son assistant en riant, quand nous venons de nous disputer avec le patron, nous pouvons venir devant le buste et l’injurier tout à notre aise… Après quoi, nous sommes soulagés.

Notre irruption avait troublé dans son sommeil un vieux chien qui gisait sous la table, gras, vénérable et léthargique.

— Ce fut le héros de Une Vie de chien, m’expliqua Chaplin; je n’en ai jamais eu besoin depuis, mais je le garde tout de même; il est maintenant vieux et neurasthénique et se sauve quand on l’appelle. La nourriture est sa seule joie, et, sans doute, pour que nous le trouvions là, avait-il flairé par ici quelque chose à se mettre sous la dent.

A peine étions-nous assis que la conversation dériva sur le théâtre:

— Le théâtre moderne est en pleine déchéance, dit Chaplin. A New-York, ce sont maintenant les directeurs de théâtre qui indiquent aux auteurs comment ils doivent écrire leur pièce. Ils leur disent: « Cher ami, il faut changer ça de telle façon; nous connaissons notre public et ses goûts; si vous ne relevez pas votre deuxième acte de la manière que je vous indique, ce-sera un four noir. Ne vous faites pas de bile, vous avez mis deux ans à écrire votre pièce, mais en cinq minutes je vais vous arranger ça. » Et je ne crois pas qu’ailleurs la situation soit bien meilleure. Il y a vingt ans, il y avait, sans aucun doute, de grands acteurs, mais, hélas! le théâtre moderne s’en va à vau-l’eau.

— C’est exactement la même chose dans notre partie, lui répondit Crocker, mais vous avez la chance d’être indépendant.

— Dieu merci, repartit Chaplin, je n’ai à demander l’avis de personne. Il y a peut-être des gens beaucoup plus forts que moi; ils connaissent, sans doute, le cinéma beaucoup mieux que moi au point de vue commercial, mais je ne pourrais faire un film avec les idées d’un autre.

« Je suis très heureux comme je suis et ne voudrais, pour rien au monde, jouer de nouveau au théâtre. J’ai toujours eu le trac; la présence de ia foule m’a toujours produit une impression pénible, et, depuis que je fais du film, je m’en suis tout à fait déshabitué. Mais, peut-être, un jour, aurai-je la faiblesse d’écrire une pièce; je crois que j’y prendrais plaisir. »

— Referez-vous jamais un film du genre de l’Opinion publique? lui demandai-je.

— Il se peut, me répondit-il; le jour où j’aurai une idée, je le ferai certainement. Pour l’instant, mon prochain film sera le Suicide Club. Peut-être le ferai-je à Londres, si je peux y trouver un bon studio; je dois aller en Angleterre, de toutes façons, pour la présentation du Cirque ; je tâcherai d’en profiter pour m’organiser.

Et, ce disant, Charlot releva ses larges pantalons pour enlever les guêtres de cuir épais qui devaient le protéger contre les morsures éventuelles du lion et qui le gênaient.

L’Estrange Faucett
(Ciné-Miroir, Paris 2 Mars 1928)

(testo archivio in penombra)