L'Auberge Rouge d'après Honoré de Balzac

Jean Epstein réalise L’Auberge Rouge

Les œuvres d’Honoré de Balzac paraissent à l’écran les unes après les autres, et l’on peut dire que, jusqu’ici, les étrangers en avaient adapté le plus grand nombre avec plus ou moins de bonheur. Le Colonel Chabert, réalisé à l’italienne et ridiculement modernisé, ne nous rappelait que de fort loin son auteur. Eugénie Grandet, mise en scène par Rex Ingram, nous montra un Balzac américanisé, mais la technique admirable du film fit oublier ses défauts. Prochainement, avec La Duchesse de Langeais, qui parut outre-Atlantique sous le titre The Eternal Flame, et interprétée par Norma Talmadge, nous verrons un autre Balzac à l’américaine.

En France, après La Peau de Chagrin, réalisée avant guerre, ouvrage dont, plus tard, Léon Poirier devait s’inspirer pour Narayana, Le Père Goriot parut à l’écran sous les traits de Gabriel Signoret, et sous la direction de Jacques de Baroncelli.

Employant une méthode différente de tous ces devanciers, Jean Epstein, le jeune metteur en scène qui compte déjà Pasteur à son actif, vient de réaliser L’Auberge Rouge, un des récits les plus impressionnants de Balzac.

J’ai eu la bonne fortune d’assister à l’une des prises de vues de ce film, et de voir le réalisateur et ses interprètes à l’ouvrage.

À mon arrivée un silence absolu règne dans le studio de Pathé-Consortium. Seul, un violon se fait entendre. On prend quelques gros plans de Léon Mathot qui interprète le principal rôle. L’artiste joue avec sincérité, avec conviction, indiquant parfois au violoniste les airs qui lui sont nécessaires pour souligner son jeu. Debout à côté de son opérateur, sous là lueur verdâtre des lampes à mercure, Jean Epstein fait recommencer les tableaux sans relâche et apprécie les expressions de son protagoniste.

Cette prise de vues terminée, Jean Epstein se dirige de mon côté. Nous faisons bientôt connaissance, le nom de Cinémagazine n’est-il pas d’ailleurs un admirable laissez-passer. Je demande au jeune réalisateur quelques précisions sur l’œuvre entreprise.

— C’est une grande joie, pour moi, me confie Jean Epstein, de pouvoir mettre en scène un ouvrage du grand Balzac, et de me consacrer à ce travail des plus intéressants : la réalisation de L’Auberge Rouge.

— Ce drame se déroulé, je crois, sous le Premier Empire?

— Vers 1800, en cffet, et j’ai situé de mon mieux l’action à cette époque. J’ai fait seulement quelques changements, quant eux lieux où se déroulent les péripéties tragiques imaginées par Balzac. J’ai placé l’Auberge Rouge’ en France: en Alsace, et non en Rhénanie!; le marchand allemand de l’ouvrage est devenu Hollandais, ce sont là les-seules modifications apportées à l’ouvrage, modifications qui m’ont été dictées surtout par les événements actuels. Les caractères demeurent les mêmes, et j’ai tenu surtout à faire une production qui se base, non sur une mise en scène scrupuleuse, mais sur une étude psychologique approfondie des personnages. Mon drame ne sera pas « extérieur » et ne cherchera pas à séduire l’œil, mais uniquement « intérieur »; il aura pour but de conquérir avant tout le cœur des spectateurs.

— Voilà une excellente méthode pour transposer Balzac à l’écran…

— Je n’ai fait d’ailleurs que retracer fidèlement l’œuvre du grand écrivain. Vous connaissez le sujet de L’Auberge Rouge. Injustement accusé d’avoir dévalisé et assassiné un voyageur, Prosper Magnan est condamné à mort ét exécuté. Le véritable meurtrier, le fournisseur aux armées, Taillefer, démeure impumi. Il ne recevra son châtiment que plus tard, au couis d’un dîner où un convive racontera la triste histoire de Prosper Magnan…

— Le public aimera, assister aux péripéties de cette erreur judiciaire. Il pourra l’applaudir, je l’espère, très prochainement?…

— D’ici deux où trois mois, je pense. En tous cas, vingt-cinq jours m’auront suffi à réaliser L’Auberge Rouge, vingt-cinq jours pendant lesquels nous n’avons tous songé qu’à mener à bien l’œuvre entreprise. Cette courte période vous étonnera peut-être; mais je suis l’ennemi des longues réalisations, les artistes ont plus facilement le temps d’oublier leurs personnages et de s’intéresser à autre chose. Pendant ces vingt-cinq jours; je les ai tenus « en haleine », ils ont été constamment les acteurs du drame. Au cours des prises de vues, fidèle à la méthode américaine, j’ai tenu à faire accompagner par un violon le jeu de mes interprètes la musique étant: à mon avis, un auxiliaire que les cinégraphistes ne doivent pas dédaigner… Elle apporte à l’artiste une aide puissante et l’empêche de porter ailleurs son attention. Je n’ai d’ailleurs pas à me plaindre sur ce point.

— Vous seriez difficile, votre distribution n’est-elle pas de premier ordre.

— Léon Mathot, dont l’éloge’n’est plus à faire est, en effet, mon protagoniste… Vous l’avez vu à l’œuvre tout à l’heure et vous avez pu juger de la persévérance, de la conscience avec lesquelles il remplit son rôle. C’est lui qui personnifie le malheureux Prosper Magnan…

— De « marin », le créateur de Jean d’Agrève et de Vent-Debout, est il donc définitivement devenu « terrien »?

— Pour quelque temps, je l’espère. En tous cas sa silhouette de L’Auberge Rouge vous rappellera celle qui l’avait rendu populaire dans Le Comte de Monte-Cristo. David Evremond campe le personnage de l’énigmatique Taillefer…

— Le « fin laboureur » de La Mare au Diable s’est donc décidé à aborder les rôles d’assassins?… Je lui connaissais trois rôles sympathiques dans lesquels il s’était fait remarquer…

— Il abordera avec succès la carrière « antipathique », soyez-en sûr, son personnage de Taillefer vous révèlera bien des surprises… Gina Manès, dont vous connaissez le talent, et que vous avez vue tout dernièrement dans La Dame de Monsoreau, serà la fille de l’aubergiste. M. Pierre Hot, Mme de Savoye incarneront avec vérité les tenanciers de L’Auberge Rouge… Quant aux rôles de jeunes premiers (il faut bien un côté romantique dans cette sombre histoire), ils seront tenus par Mlle Schmit et M. Jaque Christiany qui, délaissant momentanément la plume, vous prouvera ses indiscutables qualités d’interprète. Enfin, M. Bourdel incarnera le voyageur victime de Taillefer….

— Vous vous êtes, décidément, assuré tous les éléments pour réaliser un beau film. Votre travail en studio touche à sa fin?…

— Nous avons encore deux jours à tourner. Six décors m’ont suffi pour mes intérieurs, je réaliserai mes extérieurs au donjon de Vincennes et dans les environs…

L’opérateur appelle bientôt Jean Epstein et notre intéressante conversation prend fin: on va tourner la scène du conseil de guerre qui condamne à mort Prosper Magnan. Le travail va reprendre et se poursuivre dans le plus grand silence; le violoniste prépare son archet, et, tandis que je quitte le studio après avoir remercié réalisateur et interprètes de leur bon accueil, Gina Manès me dit tout bas: «Et surtout n’oubliez pas d’ajouter combien nous sommes tous heureux de tourner avec M. Epstein… Travailler avec lui est un véritable plaisir…»

Cette étroite collaboration des artistes et du metteur en scène, est un des plus sûrs garants du succès que remportera sous peu L’Auberge Rouge.

Albert Bonneau
Paris, Mars 1923

Carl Miller, Edna Purviance

Une composition cinégraphique de Charlie Chaplin

Paris, Mars 1923

Nous sommes à même de donner aujourd’hui quelques renseignements sur le film qu’est en train de tourner Edna Purviance, la charmante étoile, sous la direction de Charlie Chaplin.

Le titre en sera Public Opinion (L’Opinion publique).

Cette production, qui est déjà très avancée, et que pour le moment, on appelle « Destinée », sera réalisée en dix parties et présentée par les « United Artists ».

« Public Opinion » constitue un nouveau genre, tant dans la structure de l’intrigue que dans la présentation et dans le thème développé, cette production promet de révolutionner le genre cinégraphique. Chaplin lui-même insiste sur le fait que c’est (et deloin) sa contribution la plus importante à l’art cinégraphique. Dans cette production, on a introduit un nouveau procédé dans la manière de jouer, ainsi d’ailleurs qu’une nouvelle formule de construction qui s’appuie sur la base et la compréhension mêmes de la vie. Ceci, d’après un point de vue qui est bien plus du domaine de la psychologie que du domaine des grands discours. Elle présente un problème et l’a expliqué de façon fort intéressante plutôt qu’elle ne le résout. Dans toute la pièce qui vibre tour à tour d’humour, de pathétique, de tragique et de beauté, on rencontre le portrait exquis d’une âme féminine, mise à nu dans ce qu’elle a de sincère bien qu’elle garde sa propre individualité.

Le thème est surprenant et rendu plus frappant encore par son extrême simplicité et la grande chaleur des sentiments qui l’imprègnent. De même qu’elle marque lé premier pas de Chaplin dans le drame sérieux, cette production ouvre une nouvelle carrière à l’industrie cinématographique, et le nom de Chaplin est suffisant en lui-même, pour être accueilli comme celui d’un bon chaperon. « Public Opinion » absorbe le célèbre acteur plus qu’aucune de ses productions précédentes. Toute la journée, il est au studio. Il y travaille souvent très avant dans la nuit avec Monta Bell, qui l’aide dans la préparation de son œuvre. Son désir de perfection est tel qu’il lui est arrivé de passer deux semaines à la mise au point d’une seule scène.

Parlant de cette production, Chaplin dit:

«— Je pense que « Public Opinion » sera l’œuvre la plus importante de toute ma carrière. Nul plus que moi ne comprend jusqu’à quel point je me montre révolutionnaire en adoptant ce genre original de construction. Et cependant j’ai toute confiance dans le public. Jamais je n’ai cherché à lui imposer silence, comme jamais je n’ai cherché à l’enjôler, Le public ne doit pas être traité de cette manière,

« Je m’efforce de rendre, dans la mesure de mes moyens, une histoire intelligente et sincère et si je réussis à conserver la confiance que j’ai en moi, je ne crains rien de la réception par le public. Que cette production soit quelque chose de magnifique ou que ce soit un four grandiose, il n’en restera pas moins qu’il y aura de l’originalité dans la manière de conduire le jeu, et dans la manière de présenter l’action

« Il n’y aura pas d’armées, pas de décors énormes, pas plus qu’on ne rencontrera d’effets compliqués. Dans toute l’action, on trouvera uné note poignante de souffrance et de joie humaine, et aussi de l’humour. Je n’ai aucune idée de ce que coûtera cette production et je n’en saurai rien avant qu’elle soit terminée, mais j’espère la faire aussi parfaite que je pourrai, quel que soit le prix qu’elle coûtera.

« On s’est demandé souvent si j’avais l’intention de paraître dans le film. Je n’y paraitrai pas parce que l’histoire, telle que je la vois, ne comporte pas de place pour mon personnage. Et j’en suis très satisfait, car je veux que l’intrigue parle d’elle-même sans qu’elle soit influencée par l’introduction de mon propre personnage On serait toujours tenté d’adapter le thème de mon rôle.

« Je n’ai pas cependant l’intention d’abandonner l’écran, et dès que cette production sera faite, mon projet est de me remettre à produire immédiatement ».

C’est, en soi, véritablement, une œuvre artistique digne de Chaplin que de ne pas paraître dans ce film que tous ceux qui ont pu voir jugent être supérieur à tout ce qu’il a fait,

Si on tient compte de la sincérité et de l’énorme attention que lui a donnée: Chaplin, il semble que « Public Opinion » constituera la réponse de Chaplin à l’interrogation que l’on se pose sans cesse : « Que sera le cinéma dans l’avenir ? »

Une réponse du plus grand artiste qu’ait produit l’industrie du film est de la plus grande importance.

A côté d’Edna Purviance qui, dans cette production, joue pour la première fois le rôle d’étoile, on trouve Adolphe Menjou. D’autres personnages importants sont Carl Miller, Lydia Knott, Harry Northrup, Malvina Polo et d’autres encore dont les noms sont bien connus dans le monde du film.

Pour la production, les collaborateurs de Chaplin sont Alfred Reeves, directeur général, Eddie Sutherland, aide de M. Chaplin, Arthur Stibolt, directeur technique et directeur artistique. Henry d’Arrast et Jean de Limur donnent leurs conseils pour les détails concernant les mœurs et les usages de la France où se déroule l’action. La photographie est entre les
mains de Roland Totheroh aidé de Jack Wilson.

Noel Eldob
(Cinémagazine)

The Stone of Scone Cines 1911

The Stone Of Scone Cines 1911

It is a doubtful point whether it is greater to make history or to re-make it; whether the strong man who bends the years under his hand is mightier than he who, with magician’s touch, raises them from the dead and causes them to live again. At any rate, there can be no question that the reconstruction of the past is one of the greatest triumphs of which man is capable, for to repair the ravages of Time is to open the gates of our own limited age and allow us to enter again into the lives and thoughts and emotions of those long since departed.

Of all attempts at reconstructing history there is little doubt that the cinematographer’s is the most successful hitherto known. Into his magic mirror this modern Cagliostro can summon at will the ghosts of vanished centuries, breathe into them the colour of life, and cause them to move at will by power of his enchantment. It is like looking through a window into the past. One lives now; but one sees then.

Coming to the subject of this little article, we have never seen a more wonderful historical picture than this remarkable film of the Cines Company. It is not merely a portrayal of a single age, but a complete flight through time. We seem to be seated in some witch’s den; a mystical disc of light appears some writing flickers on the wall; and then, as though the world is giving way before us, we are thrown backwards into the earliest ages known to man. An ancient fane rises like a cool, grey shadow, and is peopled with warriors curiously attired. The pageant passes, and we are swept to the Abbey of our own great city as it existed centuries ago. There we are present at the inauguration of a custom which lives still, and but yesterday was celebrated. So are we led through the years, living again in as many minutes the events of a dozen centuries.

As the title of the film and our remarks will have indicated, this picture deals with the history of the ancient stone of Scone, which is now Westminster Abbey, set in the Coronation Chair. Although it is named the Scone Stone, however, its story dates back for hundreds of years before the Scottish church was even founded. The first scene is in the land of the Israelites. We see Jacob, the patriarch, tired by the heat of the day lying down to rest. As a pillow, he takes a large boulder, upon which he lays his head. And this is the origination of the famous stone. A little later we see the stone, already regarded as sacred, being borne into Egypt by the Israelitish emigrants as a memorial of their land. Every detail of this event in Biblical history is faithfully portrayed, and the setting is so perfect that it becomes hard to believe the scene is merely a re-enactment and not a picture of the actual happening. The next voyage of the stone is to Spain, whither it is caried with the greatest circumstance by a Greek prince. In the year 700 b.c. the stone is taken to the top of a mountain by Semon Brech, who declares that it shall be used as a throne there-afterwards. In the year 850 a.p. King Kenneth of Scotland finds the stone amongst some booty taken in war, and he sets it in the nave of Scone Abbey.
In 1296, Edward I., of England, storms Scone Abbey, takes Jacob’s Stone to London, and has it mounted in a chair at Westminster, from which time to the present day it has been used as the throne of kings. This wonderful series of pageants terminates with a picture symbolical of the might of Britain, showing Britannia seated upon the throne with her colonial sons gathered around her.

There is little need for further remarks, but we should like to add a word with regard to the wonderful manner in which the atmosphere of each different scene has been preserved. In a sequence of living tableaux of this kind it is often difficult to create that distinction between the pictures which should exist. The Cines Company, however, have been signally successful in this respect, and every scene bears a complete and separate individuality.

Length. 946 ft. Released August 5th

(The Bioscope)