Le Cinématographe d’Art

M, Claretie, directeur de la Comédie-Française, écrit dans le Temps les lignes suivantes qu’il nous rapporte d’Italie. L’hommage qu’il rend à la cinématographie est d’autant plus piquant qu’il émane d’un homme épris de théâtre — et dont presque tous les pensionnaires jouent presque aussi souvent devant l’objectif que devant le public du Français.

En regardant ces foules assiéger les petits ou grands théâtres cinématographiques, je rapporte cette conviction que voilà décidément le théâtre de l’avenir, et celui qui hélas! suffira aux curiosités futures. Le théâtre à quatre sous, à trente centesimi (prix unique) attire un public nombreux et lui donne toute la satisfaction voulue. C’est la vieille pantomine d’autrefois mise à la mode et au goût du jour, Cela est clair, rapide, sans fatigue, sans tension d’esprit. C’est de l’art à bon compte et de tout repos. Dans la seule Florence, il y a quatre salles cinématographiques: la salle Edison, la salle Marconi, la salle Volta (tous électriciens), et ce n’est pas seulement des drôleries qu’on montre au public, Savez-vous bien qu’on lui donne un fragment même du Dante avec les vers de l’altissimo poeta projetés sur l’écran lumineux expliquant la scène qui va suivre?

Le Dante cinématographié! On croirait à une gageure. C’est une réalité, et le résultat est vraiment artistique. Victorien Sardou, dans le drame qu’il fit jouer à Londres par Henry Irving, avait en une série de tableaux, que le grand artiste anglais réalisa à prix de guinées, montré les cercles de l’Inferno. Le cinématographe arrive au même résultat sans ces dépenses formidables.

A Pise, devant le palais d’Ugolin, à l’endroit où s’élevait la fameuse tour de la Faim, aujourd’hui disparue, démolie depuis longtemps, une affiche annoncé Il conte Ugolino. Où fut l’histoire passe le fantôme. Le fantôme cinématographique. Des personnages vivants incarnant Dante Alighieri et son guide Virgile montrent dans les sinistres enfers gelés les dents d’Ugolin s’enfonçant dans le crâne de l’archevêque Ruggieri. Les figurants qui ont posé pour cet Ugolin et ce Ruggieri ont le torse nu, les muscles à l’air, et se tordent, celui qui «joue» Ruggieri dans des souffrances affreuses, l’autre de ses longues dents visibles, enfonçant ses crocs dans la chevelure, la chair et comme les os de l’archevêque au visage épouvanté, convulsé de douleur.

«Vision dantesque», dit l’affiche, Et l’affiche a raison. Pas un théâtre ne pourrait rendre avec cette affreuse intensité celle scène d’horreur. Gustave Doré avait tenté l’aventure (et qu’est de venu son tableau?). Le cinématographe est victorieux ici de la peinture et du drame. L’instrument arrive à donner l’impression même des vers du poète — et quel poète! — alors que le pinceau et le décorateur et l’acteur ne le pourraient pas.

Est-ce un progrès? C’est une autre question, mais c’est fait. Et il est bien certain que lorsque le cinématographe ne se contente pas d’être le montreur d’une lanterne magique de bêtise, il peut être un agent d’éducation et une sorte de journal animé. L’autre jour l’empereur d’Allemagne se prêtait en souriant aux opérateurs cinématographistes (le mot a-t-il été déjà crée?), qui tournaient leur manivelle tandis qu’il prenait place dans son canot automobile, Guillaume II sait que le cinématographe est aussi de l’histoire, Il posait donc volonticrs pour ce chroniqueur modern-style. Il emmène avec lui en Grèce et à Corfou un peintre attaché à sa personne. L’artiste rendra les paysages. Mais le cinéma fera les gestes, et le geste, c’est tout l’homme.

Pendant que les journaux annoncent en manchettes les événements de Constantinople, les démissions de ministres, les fusillades sur les places publiques, les envois plus ou moins authentiques de croiseurs ou de cuirassés internationaux vers la Corne d’Or, le cinématographe nous fait assister à la cérémonie du selamlik, nous montre les voitures du sultan se rendant à Sainte-Sophie, les troupes formant la baie – ces troupes qui combattront peut-être les bataillons partis, dit-on, de Salonique — et tranquillement, dans un bon fauteuil, on assisté à ces défilés, a ces manœuvres, a ce spectacle que l’on va chercher si loin, Ce n’est pas la vie, c’est le fantôme de la vie. Mais les philosophes nous dirons qu’il n’y à guère dans la vie que des fantômes et des songes. Ces sages avaient inventé, à leur manière, rêver parmi de changeantes images.

Voilà donc ce qui m’a surtout frappé dans ma visite à l’Italie, Encore un coup, je ne parle pas de l’art, qui reste immaculé malgré l’automobilisme et les inscriptions laissées sur les murailles ou même les dalles des rues par des dernières élections: Votate per… il vero amico del populo. Ou: Elettori, non votate per il gesuita X… — traces des récentes batailles d’opinions. Et je répète que le théâtre au rabais, théâtre facile, le théâtre accessible, le spectacle mis à la portée du plus grand nombre, fera à la longue un tort considérable au théâtre tel qu’il est et même au livre, À quoi bon lire les Misérables quand j’aurais vu Jean Valjean voler les chandeliers de Mgr Myriel et l’évêque lui pardonner? Victor Hugo a génialement décrit la pieuvre. Le cinématographe fera mieux: il me la montrera, gluante et terrible, avec ses affreux suçoirs.

Ceci tuera cela. Mais non, le théâtre a la vie dure et l’art, encore une fois, est immortel. La photographie n’a pas supprimé Carolus Duran, Dagnan ou Besnard. La chromolithographie nous rend les fresques de Ghirlandajo el sauvera peut-être ce qui reste de la Cène de Léonard de Vinci. Un souvenir. Il faut vivre avec son temps. Les vieux palais florentins deviennent des magasins de denrées, comme à Paris l’hôtel Crillon se transforme en hôtel pour voyageurs. J’ai vu sur la muraille noire d’un palazzo cette annonce de boulangerie: Panni tartufati (Ce qui, à Molière, signifie des pains fourrés). Il faut en prendre son parti, et si les automobiles vont vite, en profiter, parce que la vie va plus vite qu’elles. Pronti!

29 Avril 1909

Il Primo Concorso Mondiale Cinematografico Milano 1909

Medaglia ricordo del Primo Concorso Cinematografico, Milano Ottobre 1909

Milano, Novembre 1908. Il comm. Edoardo Banfi, in unione di parecchi rappresentanti dei giornali cittadini, lancia l’idea di promuovere a Milano un concorso mondiale cinematografico fra le diverse case mondiali, ed una mostra retrospettiva della cinematografia. Il Banfi ha già invitato le 49 case mondiali cinematografiche ed in brevissimo tempo ebbe 19 adesioni, delle quali 13 dall’estero, e cioè dalla Russia, dall’America, dalla Francia, dal Belgio.
Ogni casa aderente dovrebbe prodursi con uno spettacolo giornaliero in un locale da destinarsi.
L’epoca del concorso sarebbe il marzo del prossimo anno. A garanzia della serietà del concorso nel Comitato non dovranno far parte né produttori, né case fabbricanti di films.
Le case concorrenti non avrebbero oneri di sorta all’infuori della spesa di prodursi.
Una apposita Commissione composta da artisti e di membri della stampa formerebbe la giuria. Ai concorrenti sarebbero riservate medaglie d’oro, d’argento e diplomi.
Il ricavo del concorso, della mostra e delle produzioni andrebbe a beneficio dell’Istituto di Previdenza dell’Associazione della Stampa e di altre istituzioni cittadine.
Queste idee espresse ieri dal comm. Banfi in una riunione di amici, saranno discusse in una adunanza che si terrà venerdì all’Associazione della Stampa, adunanza alla quale sono invitate personalità cittadine dell’industria, dell’arte, della scienza.

Milano, 8 dicembre 1908. Giorni sono i promotori di un concorso mondiale di spettacoli cinematografici, con a capo il comm. Banfi, ci inviavano un comunicato illustrante l’artistica iniziativa e lo scopo benefico di essa, dato che gli utili netti degli spettacoli sarebbero stati devoluti in gran parte al fondo di previdenza dell’Associazione della stampa, e a vantaggio di altre istituzioni. L’iniziativa ha trovato largo favore, tanto che sere sono ad una prima riunione intervennero numerose persone desiderose di cooperare al successo. Il detta riunione, che fu tenuta nella sede dell’Associazione della stampa, il comm. Banfi espose il programma generale del concorso che si terrebbe nella ventura primavera, e in giorni diversi da quelli fissati per altri avvenimenti, tra cui il concorso nazionale di fotografia, in modo che una manifestazione non abbia a nuocere all’altra. Da parte sua il concorso cinematografico deve assumere una importanza spiccata e singolare, dato il suo carattere internazionale e perché è la prima volta che si verifica. Così sono intervenuti accordi tra i promotori di quello e il Comitato ordinatore della mostra fotografica, con sezione cinematografica, perché le due imprese non abbiano a confondersi. In un successivo convegno tra il comitato direttivo dell’Associazione della stampa e il comm. Banfi, furono determinati i rapporti tra quello e i promotori del concorso.
La rappresentanza giornalistica approvò nelle sue linee generali il programma del concorso e deliberò di accordare ad esso il suo appoggio morale. Fu inoltre concesso che il Comitato organizzatore del concorso abbia la sua sede presso l’Associazione della stampa (via Silvio Pellico, 8). Colle persone che intervennero alla prima adunanza e con altre che furono officiate poi, venne in parte costituito già il Comitato generale, il quale, per ora, è cosi composto:
Presidente effettivo: comm. Eduardo Banfi, Brioschi rag. Giovanni, Fino Carlo, Pietra Cav. Luigi, Roncalli Lino, Praga cav. Marco, Finzi Ugo, Rosa Cavalli Porro, Broglio Grabinsky conte Luigi, Pullè comm. Leopoldo, Butti E. A., Foa avv. Ferruccio, Fabbri prof. G. I., Marone Luigi, Somasca rag. Luigi, Foa ing. Dino, Candiani comm. Giuseppe, Tempini comm. Napoleone, Tadini Giovanni, Viviani ing. Bernardino, Salvadori Riccardo, Rovescali cav. Antonio, Campi cav. Giacomo, Turati conte Vittorio, Boeti Valvassura Teresa, Ricchieri prof. Giuseppe, Bianchi Italo, Libretti dott. Antonio, Lauzi cav. uff. Achille, Pugliese cav. Emanuele, Cavallotti Mattia, Zucchini Aldo, Perotti Francesco, Cermenati Ulise, Bolgonesi Giuseppe, Bistolfi avv. Gianni, Tonnini Pietro.

27 Gennaio 1909. Il Comitato esecutivo del 1° Concorso Mondiale di Cinematografia comunica il programma del concorso stesso concretato nell’ultima assemblea tenuta presso l’Associazione Lombarda dei giornalisti.
Il programma tiene soprattutto a far rilevare lo scopo dell’iniziativa che è quello di far sì che il Cinematografo, divenuto quasi uno spettacolo di prima necessità, assorta a scopo educativo: alla diffusione delle cognizioni storiche, geografiche, etniche ed etiche, alla propaganda del umore non condito da oscenità, alla esposizioni di fatti veri della vita che si vive: dandogli insomma, un indirizzo consono a sani criteri di coltura.
Duplice sarà la considerazione in cui saranno prese le Films inviate al concorso; saranno premiate quelle umoristiche, quelle storiche, quelle patriottiche; Films d’Arte; Films a colori; Films di paesaggi, di usi e costumi, d’invenzioni scientifiche, d’industrie, di commercio e di sport; Films di trasformazioni, ecc.; saranno premiate quelle notevoli per perfezionamenti nelle proiezioni; per le proiezioni in rilievo, in piena luce, alla luce del giorno, per le Films incombustibili, trasparenti, e per tutte le altre novità riflettenti la proiezione. Si terrà anche conto della cinematografia parlante.
Ogni concorrente dovrà inviare almeno 500 metri di Films per un massimo di tre spettacoli al concorso la cui durata non oltrepasserà i 30 giorni e che si chiuderà col verdetto di una Giuria internazionale composta di componenti, non legati da relazioni di interesse a case produttrici.
Il Comitato esecutivo sceglierà il locale, ne curerà l’impianto e l’arredamento, provvederà macchine e operatori per le case che non vogliono inviare i propri.
L’adesione dovrà essere data al Comitato entro il 15 marzo p. v. L’utile netto, com’è noto, è destinato alla beneficenza.
I premi offerti dal sindacato e dal presidente della Camera di Commercio di Milano, presidenti onorari del concorso, dal ministro dell’A.I.C., ecc., consisteranno in diplomi d’onore, medaglia d’oro, d’argento e di bronzo e menzioni onorevoli.

Paris, 6 septembre 1909. L’organisation du concours de Milan se poursuit avec ardeur et nous fait espérer en gros succès. Des adhésions nouvelles de toutes les maisons d’édition arrivent tous le jours au comité.
Quelques membres du comité exécutif ont été reçus par le Syndic de Milan, Bassan Galba auquel ils ont offert la présidence honoraire; ce dernier a spontanément offert une médaille d’or et promis d’obtenir une récompense de la municipalité.
Parmi les dernières adhésions, rappelons celles de l’Itala Films, de Camille Ottolenghi de Turin; l’Eclair, la Simia, l’Eclipse, Urban, Radios, Vitagraph, Warwick etc…
Bravo pour les Italiens! Puissent-ils avoir meilleure chance que les Anglais!

I concorrenti al concorso mondiale cinematografico. È già assicurato l’intervento delle grandi Case produttrici nazionali ed estere: Luca Comerio, Adolfo Croce, N. Riccardi di Milano, Società Anonima Ambrosio, Aquila Films, Unitas, Itala Films, Pasquali e Tempo di Torino, Società Italiana Cines, Latium Films di Roma, Vesuvio Films di Napoli, Fabbrica Italiana pellicole parlate di Pisa, Films C. Globe Stoccolma, A. O. Drandkoff di Pietroburgo, The Vitagraph e C. di New York, Saturn Films Fabrik di Vienna, Urban C. di Londra, Società Simia, Raleigh e Robert, Lux, Théophile Pathé, G. Méliès, Lio, Eclaire, Eclipse, Radios di Parigi. Come è noto il concorso, che durerà dal 15 ottobre al 1 novembre, e tutti gli utili sono destinati a beneficenza.

Milano 17 Ottobre 1909. Il primo concorso cinematografico mondiale, preparato con assidua cura da un Comitato presieduto dal comm. Edoardo Banfi, è stato inaugurato ieri sera al Cinema-Teatro di via S. Radegonda. La serata fu dedicata alle autorità e agli invitati. Intervennero il prefetto sen. Panizzardi, il comm. Marcheroni segretario generale del municipio, e rappresentanze del mondo teatrale, artisti, fotografi, ecc. Da prima, nel vestibolo fu servito un rinfresco e fu col tocco dei bicchieri inneggiato al successo del concorso; quindi gli intervenuti passarono nella sala delle rappresentazioni a godersi lo spettacolo.
Fu offerto un saggio delle migliori produzioni cinematografiche destinate a figurare nel concorso, il quale viene iniziato oggi pubblicamente e durerà fino al primo novembre.
Nel concorso hanno ottenuto un vivo successo di ammirazione le films presentate dalla Società anonima fabbricazione films italiane Luca Comerio di Milano. I saggi dall’Inferno dantesco furono assai apprezzati per la bellezza della composizione e per la perfetta evidenza dei colori: le fiamme sono riprodotte con una verità sorprendente, e le figure di Dante e Virgilio campeggiano nel vasto quadro, mentre si agitano le figure dei dannati. Questa cinematografia prova il progresso ottenuto dalla ditta Luca Comerio che in fatto d’arte, di fantasia e di perfetta esecuzione si afferma vittoriosamente di fronte alle grandi case dell’estero; e il pubblico lo dimostrò con lunghi applausi.
La seconda film della stessa ditta Luca Comerio è Dall’alba al tramonto in Egitto, tolta pure dal vero, con effetti di luce di una mirabile evidenza. In questa film l’arte della cinematografia italiana riesce ad ottenere una nuova e significante vittoria con la sfumatura graduale delle tinte e delle mezze tinte. L’effetto ottenuto dà veramente la sensazione d’incanto che desta il sorgere del calore del sole in quei paesi di sogno. Battimani vivissimi scoppiati da ogni parte della sala salutarono le nuove produzioni della Società Anonima fabbricazione Films Italiana Luca Comerio.
Anche la Società anonima Ambrosio di Torino si è brillantemente affermata colle sue due films: Nerone, rappresentato con bella evocazione storica e La caccia al leopardo, tratta dal vero, nella colonia Eritrea. Entrambi i lavori furono vivamente applauditi dal numeroso pubblico, che dimostrò di apprezzare i sempre maggiori progressi di questa industria così dilettevole. Allorché nel Nerone Roma avvampa nell’incendio e la visione rosseggia fiammante, il pubblico proruppe in approvazioni, anche per la fermezza delle proiezioni, che permette di osservare senza alcun disturbo ogni piccola sfumatura.

Milano, 5 novembre 1909. Stasera il Concorso Cinematografico Mondiale dà la sua ultima giornata straordinaria, chiudendo così il ciclo fortunato delle sue rappresentazioni. A tutti gli spettatori, in quest’ultimo giorno sarà data la medaglia-ricordo offerta dal Comitato.
Oggi verrà presentata una grande cinematografia di carattere storico su Carlo IX, inedita.

Souvenirs d’Yvonne Harnold, artiste cinématographique

Yvonne Harnold (Yvonne Barreyre)
Yvonne Harnold (Yvonne Barreyre)

J’ai fait du théâtre. J’ai voulu faire du cinématographe. Entre autres motifs, ce fut par curiosité.

Je suis donc allé «jouer» devant l’appareil cinématographique. Mais ce n’est pas «jouer» qu’il faut dire: le mot est inexact et insuffisant. C’est au théâtre que l’on joue. Au cinématographe, il faut faire davantage et mieux: il faut «vivre». Il faut se mouvoir, il faut agir, comme dans la réalité. Il faut même à cette action, apporter une spontanéité, un élan, une impétuosité qui doivent être sincères. Une hésitation, un geste faux, seraient irréparables. Ce serait détruire ce que le spectacle cinématographique doit présenter ensuite, par reproduction, de vérité animée et frémissante. Il ne faut pas de trou, pas de vide, pas de lacune, pas de défaillance. Il ne faut pas compter, comme au théâtre, sur cette providence qu’est le souffleur.

C’est d’ailleurs cette activité intensive, trépidante corne l’image même que l’on en tire, qui fait le charme et l’attrait du «travail» cinématographique, de cette sorte de nouveau «métier» d’artistes, que l’on finit par aimer quand même, malgré les rigueurs souvent inutiles de sa discipline et les fatigues parfois réelles de son exécution, et auquel, en somme, on ne perd pas trop son temps et sa peine.

Quant à moi, j’en ai rapporté, à tout le moins, des impressions vives. Je vais essayer de les dire.

Elles seront peut-être d’un certain intérêt documentaire pour le public qui connaîtra par là, un peu, la préparation de ces spectacles devenus populaires. Elles pourront aussi, sans doute, par les indications précises qui les accompagnent, servir utilement mes camarades de théâtre qui auraient le projet, par nécessité ou par distraction, de faire à leur tour du cinématographe.

Il n’y a pas, pour le cinéma, des agences d’engagements comme pour les théâtres et les concerts.

C’est aux concessionnaires de telle ou telle entreprise de films (il n’y en a que trois dans Paris), que l’on a exclusivement affaire. Ils ne sont pas des intermédiaires. Ils ont traité à forfait avec leur société. Ils se chargent, à leurs risques et périls personnels, d’organiser, pour chaque scénario qu’on leur donne à reproduire, les décors et la mise en scène, de recruter la troupe d’artistes, de la faire répéter, et de la mettre au point pour l’enregistrement, à l’instant propice, par l’objectif cinématographique.

Ils reçoivent un budget de quarante francs par jour pour chaque figurant: ils lui en donnent largement vingt-cinq, en gémissant sur la dureté des temps. D’apparence, cette retenue de quinze francs autorise à supposer que leur métier est assez bon. Il est vrai que ces industriels ont des frais généraux: que nous ignorons. Ce que l’on sait, c’est que, par exemple, les deux concessionnaires de l’entreprise pour laquelle j’ai joué, anciens chefs machinistes à l’Ambigu, qui ont dû être auparavant porteurs aux Halles, et qui en
ont bien l’air, sont aujourd’hui millionnaires, après quelques années de cinématographe.

Ils font l’«embauchage» — c’est le mot qui convient — dans un café du lointain boulevard Voltaire, où ils tiennent chaque soir leurs assises. Nul protocole superflu ne complique et ne retarde l’opération. On va vers eux, et ils vous tutoient tout aussitôt: «Tu en veux, toi aussi?» Heureusement, la pratique du théâtre nous a aguerrie contre ces familiarités brutales. On sourit, on attend, durant que l’impressario vous détaille connue une bête à la foire. Puis, subitement, il prend un bock et une décision: «Ta gueule me va. Tu peux poser la petite femme pour laquelle on se bat et on se tue. Viens demain matin, à huit heures. Tu auras tes vingt-cinq balles — tout comme un député avant les Quinze-Mille. Ouste! Rompez! Je t’ai assez vue…»

Théâtre Pathé, Montreuil-sous-bois.
Théâtre  de prises de vues Pathé, Montreuil-sous-Bois.

Et l’on s’en va un peu étourdie, l’esprit bousculé, dépitée de l’accueil et satisfaite à la fois de l’engagement, mais surtout avec l’obsession de cette heure indue du rendez-vous: huit heures du matin en plein hiver! Cela suppose un lever à six heures, car les ateliers et les terrains de figuration de la société sont au diable, l’un à Vincennes, l’autre à Montreuil.

Six heures. Le réveil vient de sonner, et un appel trépidant prend aujourd’hui des sonorités lugubres de tocsin. La chambre est tiède, tandis qu’au dehors, on le devine, il doit faire très froid. On s’attarde lâchement dans les mollesses du lit. Le moment est vraiment pénible: on songe aux affres pareilles des condamnés à mort, quand il leur faut se lever, au petit jour, pour marcher au supplice… On s’exagère volontiers sa propre peine. On songe au martyre.

Et l’on est, dès lors, pleine d’admiration pour soi quand on se résout enfin à se couler hors des draps fins, à mettre ses petits pieds dans les mules, à se précipiter dans le cabinet de toilette où l’eau se met à chanter dans la bouilloire. On vient de faire un acte de vaillance, dont on tire quelque fierté: on lui voudrait des témoins peut-être.

Il faut se vêtir et se parer aux lumières. Enfin l’on sort, emmitouflée, et l’on s’en va, dans l’aube blafarde, vers le travail, vers le devoir.

L’atelier de pose est un immense hangar, au toit vitré. C’est là. que sont cinématographiées les scènes d’intérieur, dans des décors uniformément noirs et gris, que l’on peint dans un petit atelier voisin.

Les scènes de plein air se déroulent, sur des terrains à côté, ou sur des roules, ou, au besoin, dans les rues, sur des places publiques. Même, s’il est nécessaire, pour plus de vérité, on n’hésite pas à se rendre aux lieux mêmes où se passa l’action que l’on veut représenter. Ainsi, pour les épisodes historiques, des troupes vont souvent à Versailles, à Fontainebleau, à Pierrefonds — et les habitants, voyant ainsi passer des marquises mignardes et des seigneurs empanachés, se demandent sans doute quelle est cette mascarade qui n’attend pas le Mardi-Gras.

Cependant, il est huit heures, et nous voici tous réunis, nombreux et divers: les uns et les unes en tenue de ville, les autres en vêtement d’intérieur, parfois même en peignoirs ou en robe de chambre, car il est d’usage d’arriver avec des costumes à soi, lorsqu’il s’agit de figurer en costumes ordinaires. La maison ne fournit que les déguisements inusités.

C’est une mêlée pittoresque. On se groupe, on papotte, on cancane, on rit, on fredone, on chantonne — et l’on attend. C’est là que je placerai, au nom de tous mes camarades, une critique énergique, et qui est fort juste. Pourquoi obliger les figurants à se trouver sur les lieux dès huit heures du matin, en hiver? C’est de la rigueur inutile. C’est presque de la cruauté.

En effet, on ne peut pas travailler, en général, dès cette heure-là. On n’y voit pas, dans le matin encore blême. J’ai vu parfois attendre deux heures le plein jour, pour que l’appareil cinématographique pût utilement fonctionner.

C’est un errement dans lequel on persiste sans excuse.

Lorsqu’enfin la besogne commence, on oublie vite les énervements mécontents du lever trop matinal et de l’attente trop longue, car c’est alors non seulement un spectacle pittoresque, mais une action tumultueuse, dans laquelle on est soi-même entraînée, jetée, ballotée.

L’immense atelier s’anime; il grouille de mouvement, il frémit de bruit.

Tandis que dans un coin le metteur en scène (qui est parfois l’auteur du scénario, mais le plus souvent l’un des managers) dispose quelque idylle paisible dans un décor élégant d’intérieur, tout à côté s’organise un drame sanglant de faubourg. Un mariage bouffon croise un enterrement attristé: c’est la rencontre des deux cortèges de Josèphin Soulary. Et c’est toute la vie même, ramassée, résumée, dans un cadre unique.

Les scénarios ont été lus; on a rapidement indiqué les attitudes, Les on fait une répétition hâtive. Et chacun s’y donne fébrilement; on entre dans son personnage, on mime son rôle avec une ardeur que l’on ne connut pas aux répétitions de théâtre. On fait plus que le mimer; emportée par l’action, on se met à parler, à crier, à chanter, à rire, à pleurer; on frappe, on est frappée. Et c’est sans ménagement, sans retenue conventionnelle.

Au surplus, et c’est la caractéristique curieuse du jeu cinématographique, on pousse jusqu’à l’exagération même le souci de produire la réalité. Quand, par exemple, on brise des meubles, ce sont de vrais meubles; quand on casse une potiche, c’est une vraie potiche; et si quelque épisode de salle à manger oblige de dévorer un poulet, ce poulet n’est pas en carton.

J’ai vu, par ces temps rigoureux d’hiver, des figurants se jeter à l’eau, parce qu’il fallait représenter une scène aquatique, et d’autres faire des chutes très périlleuses, parce qu’il fallait reproduire un accident.

Et je veux citer un trait, authentique, qui est à l’honneur du courage et du scrupule professionnels des impressarios de cinéma qui m’ont accueillie.

On devait reproduire la course folle d’un cheval emballé. On ne trouvait pas d’amateur bénévole pour se lancer dans cette dangereuse aventure. Alors, l’un des deux chefs se dévoua. Il prit soin de prendre une assurance sur la vie, au profit de sa femme et de ses enfants, et, un jour, il monta bravement dans la voiture traînée par un cheval que l’on fit vraiment s’emballer en le piquant avec des aiguillons. Il s’emballa si bien que la voiture versa, et que le conducteur se cassa quelque membre.

Et je ne trouve pas cela si ridicule, comme disait le bon Coppée. Au contraire, j’admirerais volontiers ce geste: c’est un certain genre d’héroïsme.

Mais on est prêt; on est au point. On va pouvoir «tourner».

«Tourner», en style de cinéma, signifie, en somme, «jouer», définitivement, devant l’appareil — et c’est d’ailleurs lui qui tourne, au moyen d’une manivelle mue à la main, méthodiquement. On sait le fonctionnement, très simplement compréhensible, des appareils cinématographiques: ce sont des appareils photographiques spéciaux, enregistrant sans interruption la série des mouvements.

La cinématographie pour risquer une définition peut-être originale et dans tous les cas inédite c’est de la photographie qui fait comme le nègre, de la photographie qui continue…

Donc, devant l’objectif qui dévide régulièrement, mathématiquement, avec un crissement monotone, ses pellicules, l’action se déroule, gaie ou tragique, vaudeville ou drame.

Trois femmes pour un mari (1913)
Yvonne Harnold, troisième à droite, dans Trois femmes pour un mari (1913)

Et puis c’est fini. Des opérations chimiques et un agencement mécanique en feront ensuite la matière du spectacle animé que l’on connaît.

En conclusion de ces impressions, nous ferons une dernière observation pratique:

La figuration cinématographique a rendu incontestablement des services à notre corporation d’artistes, où il y a toujours des cigales en quête de quelques grains pour subsister jusqu’à la saison nouvelle. Elles peuvent les trouver là, en y mettant quelque bonne volonté et quelque énergie.

Il n’y a d’ailleurs Pas à rougir de cette besogne. Les plus grandes et les plus grands d’entre nous — Bartet et Segond-Weber, Monnet-Sully et Albert Lambert — n’ont pas dédaigné de laisser reproduire par le cinéma l’éloquence de leurs gestes.

Et, lorsqu’on a passé devant l’objectif, il en reste toujours la possibilité de s’offrir une petite satisfaction assez originale: celle, à quelque heure de désœuvrement, d’entrer au hasard, dans l’un de ces nombreux établissements où s’offre le spectacle cinématographique, et de se regarder soi-même agir.

Plaisir qui ne doit pas aller sans quelque mélancolie confuse et -ans quelque regret inconscient: car ce que l’on voit s’enfuir si rapidement devant soi, c’est en somme, un peu de sa vie passée…

Yvonne Harnold
(Ciné-Journal, n. 27 1909)