Si nous avons de nombreuses et talentueuses interprètes plus photogéniques les unes que les autres, si quelques femmes de lettres et non des moindres, telles que Mmmes Lucie Delarue-Mardrus, Colette, etc., ont écrit de très intéressants scénarios, jusqu’à ce jour peu de femmes se sont lancées dans la difficile et ingrate carrière de metteur en scène.
En Europe, en France, nous avons l’excellente cinégraphiste Mme Germaine Dulac, dont on vient d’apprécier la technique évocatrice dans la Souriante Mme Beudet, sujet un peu abstrait qui ne fera pas oublier ses précédents films, tels que: Géo le Mystérieux, avec la délicieuse Marken; Dans l’Ouragan de la Vie, avec Stacia Napierkowska, dont le subtil talent est si personnel.
Critique dramatique appréciée, Mme Germaine Dulac s’intéressa, dès 1913, au cinéma, dont elle se mit à étudier la technique. De là à écrire pour l’écran, il n’y avait qu’un pas: et elle le franchit en présentant chez Pathé son premier scénario, les Sœurs ennemies, qui fut immédiatement reçu.
— Mais pourquoi ne le mettriez-vous pas en scène vous-même? dit le directeur artistique de chez Pathé à Mme Germaine Dulac.
La proposition était tentante, elle accepta, et elle eut raison, car, timide e modeste, ce début fut des plus heureux.
Après la vision de ce film, que l’on reverrait avec plaisir — n’est-il pas interprété par Mme Suzanne Desprès?… — je voulus connaître Mme Germaine Dulac, qui daigna me faire un accueil des plus aimables.
Je dois avouer que je pansais me trouver en présence d’un amateur ayant eu le caprice de vouloir tourner un film et la précaution de s’être fait aider par un habile praticien, et je fus agréablement surpris d’être en présence d’une artiste, d’une technicienne accomplie et rompue à toutes les difficultés de l’art complexe du compositeur de films.
Toujours attiré par les questions de mise en scène, Mme Germaine Dulac avait déjà fait à ce sujet de nombreuses conférences et écrit de remarquables études critiques qui méritent de ne pas être oubliées. Quoique aimant passionnément le théâtre, les immatérielles féeries de l’Art Muet l’attirèrent; et elle se consacra toute à cet art nouveau, trop jeune encore pour connaître l’ampleur de toutes ses possibilités, et qui offre à chacun un merveilleux domaine où l’avenir dominera le passé, et ou l’on peut — si l’on en a la force, les capacités et le feu sacre!… — créer des formules nouvelles, sans risquer de se heurter, comme au théâtre ou en littérature, à de trop géniales traditions pour pouvoir les dépasser.
Très sévère pour ses œuvres, Mme Germaine Dulac ne veut pas encore les considérer comme des réalisations d’art lui ayant donné toutes les satisfactions esthétiques qu’elle recherche et qu’elle espère atteindre.
Au travail, Mme Germaine Dulac va, vient et se dépense avec une infatigable ardeur. La plantation des décors, la disposition des meubles, des tapis, des tentures, des velours et les soies qu’elle affectionne tout particulièrement pour la réalisation des jeux de lumière, la délimitation du champ et même la mise au point de l’appareil de prise de vues, elle dirige tout par elle-même et ne veut laisser à personne la responsabilité du moindre détail, et lorsqu’après une éreintante journée elle rentre chez elle, fatiguée, mais non lasse, c’est pour travailler encore.
Après avoir tourné Ames de fous, sérial en six épisodes, Mme Germaine Dulac réalisa pour le Film d’Art la Cigarette, comédie sentimentale où M. Signoret trouva un de ses meilleurs rôles cinégraphiques.
Mme Germaine Dulac, qui, généralement, préfère mettre en scène ses propres scénarios, fit, cependant, une exception pour la Fête espagnole, de L. Delluc. C’est de ce film que date la période moderne de sa production. D’autres films suivirent: Malencontre, la Belle sans merci, la Mort du soleil, dont, par leurs qualités diverses, on peut et on doit dire le plus grand bien.
Il y a quelques mois, Mme Germaine Dulac avait annoncé son intention de mettre à l’écran les Frères Karamazov, de Dostoïevsky, puis Werther, de Gœthe. Des amis l’en dissuadèrent, en lui demandant de réserver tout son talent è des œuvres bien françaises. Elle a renoncé à ces projets, et, prochainement , avec la délicieuse Denise Lejeay elle tournera le Cachet Rouge, d’Alfred de Vigny, et, peut-être, une œuvre des plus célèbres de Guy de Maupassant.
Mme Germaine Dulac est un beau tempérament d’artiste, dont les futures réalisations cinégraphiques ne peuvent qu’amplifier le prestige de cet art synthétique, dont les rythmes visuels et l’harmonie des nuances ont une si grande affinité avec la polyphonie orchestrale.
Enfin ce qu’il faut retenir de l’exemple donné par Mme Germaine Dulac, c’est que les femmes sont remarquablement douées pour réaliser des œuvres à l’écran. Qu’on ne l’oublie pas! l’éducation de la femme se fait surtout par la vision; elle sait mieux que l’homme noter d’un simple regard le battement de la vie. Elle distingue plus vite le mouvement qui déplace les lignes, en accord ainsi avec Baudelaire qui, croyons-nous, eût été un des fervents du septième art!
Elle est capable d’éviter des fautes de goût dans le costume, dans l’ameublement qui ne sont pas perçues par nous; tel détail de tenue qui ne nous frappe pas choque immédiatement une femme. Voilà pourquoi la femme qui est artiste, intelligente, sensible, peut se distinguer dans la carrière cinématographique. Mais la tentative exige des forces et des qualités de premier ordre; ce qui nous fait craindre que là, comme dans le ciel, il y aura beaucoup d’appelées et peu d’élues.
V. Guillaume Danvers
(Ciné-Miroir, 15-08-1923)
“Elle est capable d’éviter des fautes de goût dans le costume, dans l’ameublement qui ne sont pas perçues par nous; tel détail de tenue qui ne nous frappe pas choque immédiatement une femme.” Rien de plus vrai, merveilleux! Ce blog est une belle dècouverte, nuove iscritte!
Abbiamo studiato linguaggio cinematografico e storia del cinema in alcuni corsi all’università, e siamo molto appassionate. Non è facile sentir parlare di cinema muto, ti seguiremo con piacere! Se ti va ti aspettiamo anche sul nostro blog :)