Mosjoukine à Hollywood

Ivan Mosjoukine et Robert Florey, Hollywood 1927
Ivan Mosjoukine et Robert Florey, Hollywood 1927

Ivan Mosjoukine, qui débarqua à New York le 12 décembre 1926, y passa près d’une semaine et arriva à Hollywood le 22 décembre. Tous ses amis de Paris l’attendaient avec impatience et s’ingénièrent à rendre son premier Noël à Hollywood aussi heureux qu’il pût le souhaiter. J’avais connu Mosjoukine à Nice, sept ans auparavant, alors qu’il ne parlait pas encore français, et par une amusante coïncidence je le retrouvais dès son arrivée en Californie, alors qu’il ne comprenait un mot d’anglais. Mais durant ces trois mois, il a beaucoup travaillé est il est maintenant capable, non seulement de lire ses scénarios, mias encore de s’exprimer avec un certaine facilité, l’argot américain même lui devient familier et il n’hésite pas à se servir d’expressions typicalement américaines telle que: “You bet!” (Tu parles!) ou encore: “O. K.,” prononcez “Aukay” (Très bien).
Après beaucoup de discussions et d’hésitations, Carl Laemmle décida que le premier “vehicle” starrant Mosjoukine serait Leah Lyon ou plus exactement Leah Leon, histoire juive dont l’action se passe en Russie et dans laquelle Ivan aura un rôle semblable à celui de Valentino dans L’Aigle noir. Mary Philbin, la “trouvaille” de Von Stroheim, a été choisie pour être la leading-lady de Mosjoukine. On avait tout d’abord pensé à Lya de Putti et à Conrad Veidt (ce dernier pour incarner le Grand Rabbin), mais à la dernière minute Carl Laemmle décida que Mary Philbin et Nigel de Bruler seraient les partenaires du créateur de Casanova.
Aujourd’hui, 10 mars, Mosjoukine, rebaptisé “Moskine”, reçoit “la alternativa” des cameras américaines sous le ciel facile de Hollywood, c’est-à-dire qu’il commence ce matin même son premier film aux studios de l’Universal.
(Robert Florey, Ivan Mosjoukine – Les publications Jean Pascal, Paris 15 Avril 1927) 

Si l’on juge par la dernière photo que nous adresse Mosjoukine, son séjour à Hollywood a l’air de se passer le mieux du monde.
« Le pays est merveilleux, dit-il; les premières semaines, in est bien un peu ébahi par les manières américaines, mais, au bout de quelque temps, on s’habitue très bien… Puis j’ai un excellent dérivatif: le travail.
Pensez donc que j’ai déjà tourné depuis mon départ, The Crisom Hour (l’Heure rouge) avec Edward Sloman comme metteur en scène et Mary Philbin, comme partenaire!(1)
Dans quinze jours, je vais commencer, sous la direction de Georges Melford, Il connut les femmes. Cette fois, Lya de Putti sera ma partenaire.
Il commence à y avoir ici une colonie cinématographique française assez importante.
Je vois souvent Paulette Duval, Arlette Marchal, Ginette Madie, qui sont de délicieuses camarades, avec lesquelles je parle souvent de la France et des bons amis que nous y avons laissés.
Il y a parfois un peu de mélancolie dans ces conversations. Nous sommes, évidemment, à un tournant de notre carrière, mais nous comptons bien que le travail que nous faisons ici, les films que nous tournons, seront vus et appréciés par nos admirateurs et nos admiratrices de France. Si j’ai déjà beaucoup  tourné depuis mon arrivé ici, Tourjansky et Mme Kovanko, par contre, se désolent de n’avoir encore rien fait. On s’instruit beaucoup à observer, leurs dis-je souvent, observez en attendant!
Et, ici, il y a de quoi satisfaire la curiosité des passionnés de l’art muet. Tous les studios: Universal, United Artists, First National, Famous Players Lasky font du film en série, et on travaille avec une rapidité et surtout avec des moyens encore inconnus chez nous » (Ciné-Miroir, Paris 16 Mai 1927)

(1) Surrender (Universal), le seul film qu’il y interpreta fut un échec commercial.
Mais on était en 1928 et toute la production était orientée vers le parlant. Or, Mosjoukine ne parlait pas un mot d’anglais. Et c’est ici que la seconde raison apparaît. S’il parlait le français et l’allemand assez bien pour se faire comprendre, son accent le rendait inapte à interpréter  quelque rôle que ce spit qui ne fut d’un Russe parlant la langue russe. Or, en 1929-1932, on n’en était pas encore au cumul des langues dans un film parlant et le doublage était inconnu.  Mosjoukine dut donc résilier con contract et rentrer en Europe.
(Jean Mitry, Ivan Mosjoukine 1889-1939, Anthologie du Cinéma, Octobre 1969)