Suzanne Grandais à Berlin

Suzanne Grandais
Suzanne Grandais

23 Août 1913. Ce fut un événement pour le monde cinématographique et une sensation pour le “Tout Berlin”, lorsque la nouvelle se répandit comme une traînée de poudre que Suzanne Grandais était venue personnellement à Berlin pour assister à la première de ses deux nouvelles créations: Chacun sa destinée et Intrigues amoureuses.

D’abord, cette apparition à Berlin devait se passer incognito, et voilà pourquoi tout a été évité qui pût attirer l’attention, circonstance qui certainement a continué que Suzanne Grandais n’a été vue que par peu de personnes et interviewée par encore moins de personnes.

Pendant le spectacle, l’artiste était assise dans une loge de côté pour pouvoir suivre avec d’autant plus d’attention l’effet des différentes scènes sur le public et étudier les particularités de la projection. Mlle Grandais était accompagnée de M. d’Auchy, qui a conçu la plupart des scénarios de la série, ou qui les adaptera éventuellement. C’est lui aussi qui s’est chargé de la mise en scène. Dans la loge, se trouvait également le second metteur en scène, car lui aussi était appelé à juger de l’effet.

Grâce à l’amabilité de M. Graf, directeur de la Compagnie cinématographique allemande Dekagé film, en autres termes, qui s’est assuré le concours de Mlle Suzanne Grandais, un collaborateur de la Projection, M. von Frankenstein, a été présenté à la célèbre artiste et a pu s’entretenir avec elle quelques minutes au bureau de la direction des Kammerlichtspiele le cinéma qui avait organisé la représentation. Renonçant à l’habituel jeu des questions et des réponses de l’interview, nous n’entendons reproduire que les faits principaux de l’entretien, dit notre confrère, puisque Mlle Grandais a gracieusement  répondu à toutes les questions. A cette occasion, il a été possible aussi de constater que Mlle Grandais n’est pas seulement une célèbre artiste cinématographique, mais aussi une véritable beauté. D’une grandeur moyenne, elle joint à une rare élégance une admirable souplesse des mouvements, ce qui, d’après ses propres paroles, est incontestablement le fruit de son entraînement sportif. Elle est venue , non sans inquiétude, à Berlin, puisque quelques semaines avant la première prise de vues, elle avait été désarçonnée, ce que la gênait quelque peu. Elle croyait donc que son jeu s’en ressentait également et était très agréablement surprise de n’en rien retrouver dans le film. Qu’en France on était habitué à des applaudissements aussi vifs que répétés — résultat de la vivacité de ses compatriotes —mais qu’elle n’aurait jamais cru possible autant d’enthousiasme de la part  des Berlinois et particulièrement des Allemands, dont on se plaît à reconnaître une certaine tendance à la lourdeur. Elle voit dans ce fait un nouveau stimulant, puisqu’il a fourni la preuve que son art cinématographique lui a valu une célébrité internationale, alors qu’auparavant elle ne croyait pas pouvoir dépasser les frontières de sa patrie. Et précisément le film est, comme nul autre moyen, appelé à porter au loin la renommée d’un artiste, dès qu’elle se voue avec un enthousiasme irrésistible à cette mission vraiment belle et hautement intéressante.

Il était très intéressant, dit notre confrère ne matière de conclusion, de suivre, au milieu de l’entretien, le jeu de physionomie de l’artiste et surtout l’éclat de ses yeux, qui, sous le chapeau aux larges bords, se détachaient vigoureusement de sa figure classique, si connue, si aimée de tous les publics qui savent, chaque fois qu’elle paraît sur l’écran, exprimer leur sympathique admiration.

(Tiré du journal berlinois La Projection)