La semaine du Nouvel An, par suite des écarts de temperature que nous subissons à Paris depuis une dizaine de jours, est extrêmement mauvaise pour les salles de spectacle cinématographique. Les recettes baissent partout irrésistiblement, et les Directeurs altérés ne savent plus à quel saint se vouer.
En effet, aucune salle n’échappe à la loi générale dictée par le baromètre. Et tel beau parleur, qui prétendait , il y a quelques semaines à peine, réaliser de mirifiques recettes et des bénéfices considérables, se demande aujourd’hui, non sans inquiétude, comment il réglera sa facture de location, si cela continue.
En effet, rien ne semble produire d’impression sur la foule. Les premières semaines passent inaperçues; les exclusivités coûteuses n’ont pas plus de bonheur.
Les grands Boulevards, promenoir du monde entier, aujourd’hui balayés par la neige et le froid, sont déserts; les rues les plus fréquentées de Paris ne comptent que de rares passants qui fuient d’un pas pressé pour regagner le logis. Et le miroitement électrique des façades de Cinémas ne leur fait plus tourner la tête.
L’observatoire, heureusement, nous annonce un changement de temperature et tout rentrera bientôt dans l’ordre normal des choses. Toutefois, on a pu remarquer l’inanité de certaines manœuvres devant l’inclémence du temps. Et le fait d’avoir manqué la recette pendant une quinzaine a déséquilibré bon nombre d’exploitations que je connais, et qui, il y a quelques semaines à peine, se livraient sur leurs concurrents à une surenchère aussi folle que ruineuse.
Il est probable que beaucoup d’Exploitants sont revenus à de meilleurs sentiments et à une plus juste appréciation des affaires commerciales. Si cette douche glacée, qui vient de leur choir sur la tête, pouvait provoquer une telle transformation, elle leur aurait rendu un signalé service à tous.
Le mal dont on se plaint est imputable, à n’en point douter, aux Exploitants. Les hausses de tarifs dont ils meurent sont également créées par lui-même, parce qu’il suit une mauvaise orientation générale.
En effet, dès qu’un film quelconque est signalé, on ne sait pourquoi tous les Exploitants, comme un seul homme, se précipitent dessus, alors que la même semaine, beaucoup d’autres films seraient autant dignes d’attirer leur attention.
Non! Un tel a commandé tel film, il le faut à tel autre et a tel autre encore. Les Loueurs achètent un grand nombre de copies, haussent les tarifs pour faire tout de même une sélection, et tout Paris affiche en même temps la même vedette. La clientèle vient, se répartit entre tous les cinémas et attend la semaine suivante pour revenir.
Si, au contraire, nos amis mettaient toute leur ambition à passer un programme différent de celui du voisin d’en face, d’à-côte ou de plus loin, les amateurs de cinémas iraient d’un établissement dans l’autre et chacun en ferait son profit:
1° En réalisant un moyenne de recette à peu près constante;
2° En payant des tarifs rémunérateurs;
3° En évitant une concurrence directe qui amène avec elle mille obligations coûteuses.
D’autre part, les achats des Loueurs se répartiraient sur toutes les marques. Ils loueraient leurs films et les amortiraient plus aisément, puisqu’ils fourniraient aux exploitants des pièces différentes.
Les Editeurs auraient une vente plus stable; les Loueurs pourraient se constituer une clientèle moins fugace et le public, lui-même, en trouvant un aliment à sa curiosité, viendrait plus fréquemment au Cinéma.
En un mot, tout le monde y trouverait son compte et nous en aurions fini avec toutes ces chicanes qui désolent et amoindrissent notre corporation.
Puisque nous entrons dans une ère nouvelle, secouons donc à son seuil, avec la poussière du chemin, les erreurs et les abus du passé, et repartons sur des bases plus équitables, plus fermes, et plus commerciales.
Tels sont les souhaits que le Courrier formule aujourd’hui, à l’aurore de l’an 1914.
Charles Le Fraper
(Le Courrier Cinématographique, Paris 3 Janvier 1914 – archivio in penombra)