
Le Gaumont-Palace fait une brillante réouverture au milieu des applaudissements d’une foule enthousiaste.
L’événement attendu avec tant d’impatience par les habitués du splendide établissement du boulevard de Clichy, a eu lieu vendredi 5 septembre, au milieu d’une affluence des plus considérables. Dès 8 la 1/2 toutes les places étaient prises et les retardataires en furent pour leurs frais. Des centaines de personnes assiégèrent encore les guichets, mais il a fallu les renvoyer au lendemain. C’est de bon augure pour l’art cinématographique en général et le Gaumont-Palace en particulier, auquel revient incontestablement le mérite d’avoir intéressé, à la projection animée, la haute société parisienne.
Le Gaumont-Palace, qui certainement était déjà un établissement de premier ordre, s’est encore embelli et un nouveau promenoir y a été ouvert. Actuellement, on peut faire le tour de l’immense salle de spectacle et regarder, à l’aise, pendant les entr’actes, passer les milliers de personnes qui s’y donnent rendez-vous. Au point central, au-dessus de l’entrée, la magnifique rotonde; où sur des tables sont disposées les meilleures publications illustrées de France et de l’Etranger. Le grand foyer du rez-de-chaussée, qui se trouve à l’autre éxtremité des couloirs, est plus facilement accessible depuis que les deux promenoirs latéraux y conduisent, et lorsque l’orchestre tzigane y fait, entendre ses valses entraînantes, la foule y est aussi nombreuse que choisie. Or l’heureuse transformation dont il s’agit n’est pas seulement comprise dans un but esthétique, mais elle augmente de façon fort appréciable le nombre des portes de dégagement, de sorte que, même les soirs de presse exceptionnelle, l’évacuation de la salle peut se faire dans les meilleures conditions.
La décoration des foyers et promenoirs a été remise à neuf et l’œil repose agréablement sur les belles tentures parsemées de marguerites Gaumont.
Parlons maintenant du spectacle dont le succès fut, est-il besoin de le dire, des plus vifs. S’affranchir, le beau drame cinématographique, où Mme Renée Carl, dans le rôle principal, s’est fait admirer de nouveau par les délicats et les connaisseurs. Ce film met une fois de plus en grande vedette la belle artiste qui incarne, avec une vérité saisissante, le personnage émouvant de la Rosa Alba. Mme Renée Cari a pu goûter, vendredi soir, les joies du triomphe. Et ceux qui suivent passionnément l’évolution du cinématographe vers sa formule définitive, s’en réjouiront de tout cœur, car une telle interprétation a l’importance d’une démonstration claire, précise, irréfutable : elle prouve que le cinéma, quand il est interprété par des artistes de certe valeur, peut prétendre à exprimer les nuances les plus subtiles du sentiment, aborder tous les genres, et qu’il n’est pas un parent pauvre du théâtre, mais, au contraire, un frère jeune, il est vrai, mais plein de vie, débordant de sève et riche d’espoirs.
Nul ne pouvait mieux servir cette démonstration que Mme Renée Carl. Son jeu est d’une limpidité admirable, si naturel qu’il donne bien l’impression de la vie telle qu’elle est, si sobre qu’elle pourrait tenir l’écran pendant une soirée sans lasser le spectateur. Ses regards et ses attitudes ont une éloquence que n’atteignent jamais les tirades les mieux venues, parce que les tirades sont toujours fausses, et que, dans les moments où l’on est le plus ému, on n’en fait pas.
Pour citer un exemple : Dans la scène si douloureuse de S’affranchir, où la Rosa Alba quitte le foyer conjugal en suppliant son mari de ne pas dire un mot pour la retenir, quand elle ferme derrière elle la porte de la maison, il se dégage de l’attitude, des rares gestes et du visage de Mme Renée Carl, une telle expression de douleur, que la salle est empoignée par cet art si délicat, si simple, si humain…
Il est juste de dire ici que M. Navarre, qui joue le rôle. du colonel, partage avec sa belle camarade le succès de la soirée.
Mais il serait injuste de ne pas consacrer une ligne aux autres films qui, par d’autres moyens, ont captivé et retenu l’attention du spectateur, ainsi qu’aux attractions dont la variété peut être considérée comme une des spécialités du Gaumont-Palace.
L’orchestre fut comme toujours au-dessus de tout éloge et les différents morceaux ont été soulignés par de nombreux applaudissements.
M. Léon Gaumont, entouré de sa famille, assistait dans une première loge à cette sensationnelle première. Il peut être justement fier de la renommée mondiale de son splendide établissement.
(Le Courrier Cinématographique, 13 Septembre 1913)