Asta Nielsen dans Hamlet

Paris, décembre 1923

Où vient de présenter Hamlet (1er décembre 1923, à 10 heures Ciné Max-Linder) non selon la tradition shakespearienne, mais d’après la légende historique telle que la conta, il y a des siècles, l’historien danois Saxo Grammatiens (1).

C’est à lui que l’a empruntée le célèbre conteur Belleforest en publiant sa collection de Nouvelles en sept volumes, qui parut en 1564.

De cette collection fut traduite en anglais l’histoire d’Hamlet, dont s’est inspiré Shakespeare.

Dans la littérature du monde, il ne peut probablement pas être trouvé un caractère plus fascinant et plus attachant qu’Hamlet, le chef-d’œuvre de Shakespeare.

Ce caractère remarquable exerce une attraction sur les jeunes gens et sur tout le monde; attraction profonde en raison de l’incompréhensible nature de l’homme.

Un terrible mystère plane sur Hamlet.

Personne n’a encore été capable d’expliquer quels motifs et quelles émotions conduisaient ce mélange humain et étrange de passion et d’indifférence, de colère et d’irrésolution.

Est-ce qu’Hamlet était fou, comme on l’a dit?

Etait-ce un esprit concentré, cachant derrière une apparente folie une volonté profonde et violente de venger le meurtre de son père?

Etait-il si fatigué de la vie que ses paroles bizarres et étranges comme ses actions, ne montraient que mépris pour l’opinion des autres?

Depuis des siècles, les savants ne sont jamais tombés d’accord sur Hamlet et le sens de cette légende.

Même les plus grands poètes ont discuté la vie d’Hamlet.

Voltaire considère les pièces de Shakespeare comme un mélange maladroit de caprices et de non-sens.

Herder, le philosophe réputé, tient la manière d’Hamlet pour de l’affectation.

Même Gœthe a impitoyablement rejeté la valeur aujourd’hui incontestée du drame d’Hamlet.

Le professeur Edward P. Vining, savant américain qui a étudié Shakespeare, a donné une théorie originale de la faiblesse sauvage d’Hamlet. Dans son ouvrage érudit Le Mystère d’Hamlet, il émet l’hypothèse. qu’Hamlet était une femme. Et le docteur Vining appuie largement sa thèse sur les propres écrits de Shakespeare.

Cette explication audacieuse du caractère d’Hamlet est, en partie, la base du film présenté. La situation est extraordinaire: Une princesse forcée pour raison d’Etat à prendre l’aspect d’un prince, est soudainement mise en face d’événements que, seul, un homme de forte volonté et plein de confiance en lui pourrait surmonter.

Nous sommes ainsi reportés à l’ancienne légende d’Hamlet où Shakespeare puise la première conception de son immortelle tragédie.

Il est certain aussi que Shakespeare trouva nécessaire de changer quelques-uns des épisodes de l’ancienne histoire pour l’adapter au théâtre.

Dans cette version, nous avons suivi de plus près la version originale, et le malheureux prince est montré sous un jour nouveau et intéressant, souvent identique à la version shakespearienne et souvent différent.

Le prince danois, incarné d’une manière réaliste par Asta Nielsen, émeut d’une rare manière le cœur humain.

Sa manière d’interpréter le rôle le rend toujours tragique et donne l’impression profonde des douleurs et des souffrances que peut subir une âme noble.

Asta Nielsen est entourée d’un admirable groupe d’artistes, formant un ensemble qui, au point de vue de la perfection, a rarement été aussi bien atteint au cinéma.

En quelques lignes, résumons le sujet de ce beau drame tel qu’il a été réalisé cinématographiquement d’après la légende historique de Saxo Grammatiens.

On verra combien il diffère du drame si remarquablement interprété jadis à la Comédie-Française par Mounet-Sully ; si prodigieusement chanté, à l’Opéra, par Faure.

Au cours de la bataille engagée entre les armées danoise et suédoise, le roi de Suède fut tué, et son adversaire, le père d’Hamlet, grièvement blessé.

C’est durant cette campagne que la reine Gertrude de Danemark mit au monde une princesse.

Croyant la blessure du roi mortelle, afin de garder la couronne, la reine fit annoncer au peuple la naissance d’un prince.

En l’absence du roi, la reine Gertrude s’était laissé courtiser par son beau-frère Claudius. Les deux amants résolurent de se débarrasser du roi, et chargèrent de l’exécution du crime le lord chambellan Polonius.

Afin que le prince Hamlet ne put être un obstacle à leurs coupables desseins, il fut envoyé à l’Université de Wittemberg.

Le prince Hamlet apprit par des serviteurs que son père avait été emprisonné sur l’ordre de son oncle Claudius qui s’était emparé de la couronne et avait épousé sa mère.

Ayant la certitude que ce dernier était le coupable, le prince simula la folie pour mieux surveiller ses faits et gestes.

Il engagea une troupe de comédiens et leur fit jouer devant la Cour une scène reconstituant le meurtre de son père.

Le trouble que le roi et la reine exprimèrent durant la représentation, confirma Hamlet dans son opinion; il résolut de tuer le roi son oncle. Mais ce dernier lui fit quitter le château et l’envoya, accompagné de deux serviteurs, au roi Fortinbras dans l’espoir de le faire emprisonner.

Contrairement aux prévisions de Claudius, le roi Fortinbras traita Hamlet en souverain et lui offrit son armée pour arracher le Danemark des mains de l’usurpateur.

L’armée suédoise se mit en route, guidée par Hamlet, et campa aux abords d’Elseneur.

Pendant la nuit, Hamlet se rendit au Palais et trouva le roi Claudius et ses courtisans se livrant à des orgies dans une tour du château. Profitant de l’ivresse générale, il mit le feu à la tour dans laquelle Claudius périt.

La reine, craignant la colère de son fils, résolut sa mort.

Elle le fit provoquer en duel-par Laertes, le frère d’Ophélie qui meurt de chagrin de se voir délaissée par Hamlet.

Le duel eut lieu avec des épées empoisonnées. Hamlet fut blessé mortellement devant la reine qui, ayant par mégarde absorbé un poison, s’écroula sur le trône.

A ce moment arriva, mais trop tard, le roi Fortinbras, qui fit rendre les honneurs funèbres au malheureux prince Hamlet.

Asta Nielsén, l’incomparable artiste danoise, s’est surpassée dans ce rôle magnifque. Elle est l’inoubliable interprète du film, dont le jeu, unique en son genre, s’adapte admirablement aux lois optiques de l’art cinématographique.

Tous les autres rôles tenus à côté d’elle sont interprétés avec talent et la mise en scène se fait remarquer par la richesse, la somptuosité de ses reconstitutions d’une époque si lointaine qu’elle semble faire plus partie de la légende que de l’histoire.

Pour nous résumer, c’est un très beau film, qui aura un gros succès.

V. Guillaume-Danvers

  1. Saxo Grammaticus

Un altro bilancio passivo!

Torino, dicembre 1923

L’anno cinematografico non si può ridurre semplicemente ad un bilancio contabile, nè bastano cifre o fatti a darne con sicura scienza la situazione complessiva da cui dedurre la sincera situazione. Il bilancio matematico — e materiale — va illustrato da copia di considerazioni, apparentemente estranee in parte, ma tali da influire in modo efficace sull’arida valutazione dei fatti specifici.

Tuttavia la comparazione del dare e dell’avere è sommamente istruttiva, specie per quanto riguarda il passato, e permette di ritrarne considerazioni — amare purtroppo! — sull’andamento generale della nostra industria, sempre tanto decantata e blandita a parole, e tanto bistrattata, accanitamente colpita nei fatti.

Sembra che una fatalità incomba sulle cose del cinematografo italiano: fatalità che persegue ostinata, dopo il bluf fantasmagorico, mirabolante dei primi tempi di pace. Fatalità che — ironia somma — si diverte a lasciar intravvedere un lembo di cielo azzurro, rinfocolando speranze e chimere, per poi ripiombare tutto nel più buio limbo di un’apatica abulia distruggitrice.

Anche quest’anno, come l’anno passato, come il precedente, il bilancio è in completo stato di fallimento: al passivo… tutto; all’attivo… nulla, 0 quasi. Condizione spaventosa, impressionante, tale da togliere coraggio a proseguire, da condurre alla disperazione più nera. Teatri chiusi, le Case sparite o ridotte a larve nominali, a simulacri reggentisi per lustra e per dar modo a qualcuno di aggrapparvisi peggio dell’ostrica allo scoglio, coll’unico scopo di conservare la fonte perenne di scialacquio, pozzo di S. Patrizio inesausto per le fauci insaziate, a tutte spese dei gonzi e di Pantalone.

Del resto uno sfacelo generale, giunto a tal grado di ruina a traverso la serie di colpe ed errori che non vogliamo oggi rinvangare per la centesima volta!

Tutto questo mentre le sale di proiezione rigurgitano di spettatori, mentre in ogni buco sperduto delle campagne e sulle punte apriche dei monti si moltiplicano i cinematografi: quando giornali quotidiani di indiscusso valore impostano una loro campagna di propaganda pel teatro drammatico, basandosi sulla pletora di pubblico che il cinema attira a detrimento del palcoscenico, e dando così prova lampante del crescente entusiasmo popolare per lo schermo.

E non si venga a sostenere che il popolo, la massa, ha preferenza per le pellicole americane e sdegna le nazionali. Non è vero.

Anzitutto il pubblico se ne infischia e non ha preconcetti: la parola è forse cruda, ma risponde perfettamente a verità. Esso prende ciò che gli danno, senza incaricarsi della provenienza, approvando ciò che gli piace, discutendo quanto non è di suo gusto.

Tutt’al più, anzi, si potrebbe dire che accetta la produzione straniera (straniera in genere, di qualunque luogo) perchè non gli servono di quella italiana, ma, di due lavori d’ugual pregio, preferisce il nostro per quell’innegabile spirito di nazionalismo che da un poco in qua va facendosi strada nella mente del nostro popolo, e perché le sue tendenze lo portano ad amar meglio il genere nostro che non quello altrui. Ne è prova il fatto che una pellicola nostra tiene il cartellone tanto e forse più di una straniera, purché sia buona e sia presentata colla stessa dovizia di pubblicità, colla stessa cornice preparatoria.

Nè è meno assurda l’affermazione accampata con superba sicumera d’una antipatia dell’estero pei nostri lavori. Non ci ripeteremo neppur qui, citando tutte le richieste di produzione italiana che ci sono ripetutamente pervenute — e che noi abbiamo sempre reso di pubblica ragione — da ogni luogo del mondo, compresa la Francia, nostra dolce sorella sprezzante, e compresa l’Australia, chiusa a tutte le importazioni cinematografiche, compresa quella inglese.

Noi non abbiamo — e probabilmente non avremo mai, per ragioni facili a comprendere — i mezzi strepitosi degli anglo-sassoni di qua e di là dell’Atlantico: non possiamo buttare milioni di lire a palate per la costruzione di un film; non possediamo quel senso del kolossal che distingue i produttori germanici e li fa inscenare strepitosi soggetti di mole formidabile. Ma abbiamo, insito in noi, un senso estetico ed artistico al quale gli altri aspirano senza raggiungerlo mai; abbiamo l’arte innata ereditata dai lunghi secoli gloriosi della nostra civiltà mondiale; abbiamo cielo e sfondi e paesaggi che le più belle contrade forestiere si lasciano addietro per lunga pezza.

E i popoli stranieri amano i nostri lavori, e gli impresari li ricercano insistentemente.

… Eppure non si vende…

Infatti: si vende poco. Solo quello che vale in sé: e solo quello che il produttore sa vendere. Finchè si aspetterà che il compratore accorra a richiedere come una grazia speciale di farsi strozzare allegramente dal fabbricante italiano; finché si rimarrà inerti lasciando allo… stellone di buona memoria il compito di espandere le nostre pellicole; finché si tratteranno i compratori d’oltre Alpe e d’oltre Oceano quali esseri inferiori, indegni che i Padreterni della nostra cinematografia si abbassino a ricercarli, i nostri films rimarranno circoscritti alle poche sale italiane e non varcheranno né monti né mare.

Occorre andar sul posto, portare a ciascuno, selezionato, quanto è più di suo gusto, far visionare, allettare il cliente, rendergli facile conoscenza e acquisto dei lavori. L’unico trust che avrebbe ragione di esistere sarebbe appunto un’unione fra i vari produttori, per l’impianto di una moderna organizzazione di vendita, che avesse branchie e tentacoli in ogni dove, e che avesse il coraggio e la forza (i capitali non mancano!) di aprire all’estero cinematografi esclusivamente italiani, per invogliare il pubblico e costringere noleggiatori e acquisitori a fornirsi in Italia.

Un cinema a New-York, uno a Londra, a Barcellona, a Berlino, a Buenos Aires, a Parigi, a Vienna: in qualunque città di grande commercio, non potrebbe che essere redditizio e foriero di vantaggi alla nostra produzione nazionale, assai più certamente che non i pochi locali più o meno grandiosi che oggi
si… trusteggiano senza risultati per l’industria.

È vero che per far ciò occorre sapersi staccare dalla gretteria delle concezioni commerciali e industriali fin qui seguite, e occorre impiantare tutt’una organizzazione costosa, mirando ad un guadagno futuro e complessivo, non al piccolo ma immediato e irrisorio rimpinzamento di portafogli, con interesse particolaristico ed egoistico.

I cinematografisti che, sapendo guardare più in là del proprio naso, hanno capito la vera situazione del mercato internazionale e sanno adattarsi ad essa ed agire di conseguenza, vendono e vendono bene. Ma son pochi e le dita di una mano son troppe per numerarli! E i lavori che questi producono, buoni innegabilmente e lontani ben dalle meschine porcheriole cui i Padreterni ci avevano — ahimè — assuefatti, non hanno poi nulla di straordinario o così superlativamente sublime da imporsi come curiosità uniche al mondo.

Qualunque Casa, in Italia, potrebbe lavorare così, e qualunque potrebbe come questi vendere, sol che volesse. Non ci sono inscenatori, da noi? Crediamo che i nostri nulla abbiano da invidiare agli stranieri, per coltura, senso artistico e pratica tecnica: mancano piuttosto di mezzi. Dai teatri che — costosissimi e grandi di spazio — non sono attrezzati, alla luce deficiente; dalle macchine al materiale impressionabile e ai bagni di sviluppo; insomma essi sono vittime delle incomprensibili gretterie dei proprietari, i quali lesinano i mezzi necessari per buttare invece centinaia di biglietti da mille in spese inutili, senza scopo. E son vittime del divismo, sostenuto dai proprietari stessi che a parole lo deprecano, e son vittime di tutto un sistema sbagliato e deleterio.

Ad ogni modo, qualora in qualcosa i nostri direttori artistici difettassero, facile sarebbe richiamarne qualcuno dal di fuori, che, coll’esempio pratico, correggesse i difetti. Se n’è parlato, ripetutamente. Ma la cosa è rimasta allo stato di progetto. Come allo stato di progetto è tutta la strombazzata reiterata promessa di una ripresa imminente, d’una imminenza che si trascina di mese in mese da un anno!!!

Quando non si sa più che cosa eccepire, si annunzia che le Banche non danno più i capitali per la lavorazione. È naturale! Dopo le . . . scottature avute! E dopo che, anche dopo scottate, hanno continuato a dare e dare a fondo perduto.

Non sono le Banche, del resto, che devono fornire i capitali. Sono i privati cittadini, come avviene per qualunque altra industria di qualunque genere. Ma è logico che questi privati non arrischino un soldo per affidarlo a chi già sanno li farà sparire nel mare magnum della voragine abituale, dove già sparirono centinaia di milioni.

Cambiare uomini, occorre, e allontanare quelli che soffrono d’una tabe organica ormai troppo nota: e cambiare sistemi.

Solo così potremo ritornare a far fiorire questa industria che è stata e fatalmente dovrà essere ancora vanto italiano; giacché, ad onta di tutto, noi siamo certi, persuasi, che il primato cinematografico dovrà tornare a noi ineluttabilmente, quando avremo mutato metodi e persone.

Ed è questa la conclusione finale di tutte le amare constatazioni, e le presunzioni che dal bilancio di quest’anno noi vegliamo ritrarre per l’avvenire.

Per oggi… zero, passivo completo. Quel pochissimo di attivo… lo serberemo qual fondo per l’anno venturo, sperando che finalmente il 1924 voglia aprire gli occhi agli addormentati, e… chiuderli definitivamente ai troppo svegli!

Con tale speranza porgiamo ai cinematografisti tutti, ai collaboratori, ai lettori, gli auguri più cordiali per l’anno nuovo.

Le brasier ardent Albatros 1923

Ivan Mosjoukine dans Le Brasier Ardent (Film Albatros

Paris, juin 1923

Un texte inutile correspondant au désir de prendre ses précautions à l’égard d’un public déjà suffisamment averti, précède la projection du remarquable film d’Ivan Mosjoukine. Est-il bien nécessaire de rappeler au spectateur que le Cinéma en est encore à ses premiers pas? Cette assertion, dont les critiques cinégraphes eux-mêmes abusent trop souvent, ne nous paraît avoir qu’une valeur extrêmement relative. Le Ciné d’aujourd’hui s’adapte à notre sensibilité présente, il est inspiré par elle; il lui est trop souvent inférieur, inconscient qu’il semble rester de l’intelligence du Public, surtout populaire; lorsqu’il la bouscule un peu, s’efforce de l’entraîner, de l’affiner, on dit que c’est du Ciné d’avant-garde. Je ne crois pas qu’il y ait en France des artistes véritables résolus à priori à bouleverser les données établies par la logique de l’esprit et les exigences du cœur. Chacun travaille selon sa conception propre du drame universel, selon sa vision personnelle, ses aspirations, et voilà tout. C’est ce qu’Ivan Mosjoukine vient de faire d’une manière éclatante. Et c’est, au fond, cette simplicité de principe qui a dérouté la critique.

C’est cela que l’on aurait dû nous dire sur l’Ecran avant de dérouler sous nos yeux la bande discutée du Brasier ardent. Si l’on voulait absolument nous prévenir de quelque chose il ne fallait pas nous demander « de ne pas en vouloir à l’auteur » mais simplement jeter à la face des spectateurs une phrase dans le genre de celle-ci: « Ce film a été fait par des artistes, selon leur cœur et leur esprit ».

Cette vérité simple, qui est à la base de toute œuvre sincère disparaît aujourd’hui de notre vocabulaire, peut-être avec la sincérité elle même. Certaines personnes, plus averties que moi à n’en pas douter, m’ont dit, après la première vision du Brasier: « Ce n’est pas assez extravagant ». D’autres: « C’est un film illogique, dont le début promet mais dont la suite ne tient pas ». J’avoue que je n’ai pas voulu les entendre. J’ai certainement eu tort. Mais le film de Mosjoukine m’avait profondément ému et je me suis défendu. Antoine avait-il raison de dire que nous retrouvons devant l’Ecran la mentalité passive d’enfants sages devant la lanterne magique? Sans doute. Mais il y a, dans la compréhension d’une œuvre d’art quelle qu’elle soit un principe de sympathie, au sens large du mot, que je m’efforcerai toujours de conserver.

Sans ce principe, un peu trop oublié dans la bataille présente des origines du Cinéma, il n’y a pas de communication directe entre un auteur et son public. L’œuvre aussitôt s’objective, se désarme devant les instruments bien aiguisés des critiques. Cette expérience, pour l’excellence du métier et l’épreuve finale des résultats, est nécessaire. Mais elle ne doit pas supprimer l’autre, la grande, la généreuse expérience subjective. C’est à ce point de vue que nous avons voulu nous placer pour comprendre et juger Le Brasier Ardent.

Les résultats ne nous ont pas déçu, puisque nous nous sommes aperçus, au-delà de la belle émotion que nous devions à notre sympathie, que nous avions compris, grâce à elle, ce qui avait échappé à d’autres. Notamment la soi-disant contradiction entre les deux parties du film, imaginaire et réelle, ne nous est pas apparue. Nous sommes, peut-être, doués d’une vue plus faible. En ce cas, laissez-nous vous exposer la chose, et nos lecteurs jugeront eux-mêmes:

Une femme, partie de bas, a été gauvée par un homme essentiellement bon. Voilà la première donnée, très simple. Dans son cœur et dans sa pensée tourbillonnent des forces encore obscures. Ces forces la poussent irrésistiblement vers un être qu’elle ne connaît pas. Avant de s’eudormir, elle a lu un livre sur les exploits du célèbre détective Z, elle en a contemplé les illustrations qui le représentaient sous plusieurs déguisements. Elle s’endort. Dans son rêve, elle se sent attirée violemment au dehors de sa vie. Elle brûle. Elle est, par son état d’âme, sur le brasier ardent. Des mains puissantes la traînent par les cheveux. Tout-à-coup, le visage de celui qui la torture et cherche à l’attirer vers lui apparaît. Elle fuit, elle se heurte au malheureux qui est son mari et lui crie: « Femme, arrête-toi! » Elle pénètre dans un lieu de luxe et de débauche. Parmi les femmes étendues, un homme passe, souverain et dédaigneux. C’est Z. Brusquement, comme dans tous les rêves, les images changent de décor. Puis, voici la cathédrale. Elle se marie, avec l’homme bon qui est effectivement son époux. Logique du souvenir. L’évêque les bènit et lui dit: « Va retourne à ton foyer ». C’est le même visage qui la poursuit. C’est Z. Elle sort de la cathédrale, un mendiant lui tend les mains. C’est encore lui. Elle le secourt. Elle lui donne tous ses bijoux. Il n’en veut pas, les laisse tomber sur le sol, continue de tendre les mains, puis, se tue. Désespérée, elle se jette dans les bras d’un autre mendiant: son mari. Elle s’éveille.

Rêve cohérent. Les flammes qui brûlent à ses pieds et autour d’elle pendant qu’elle le vit rendent l’état de son cœur. C’est le Brasier Ardent, c’est la passion qui couve. Le mendiant d’amour qui se traîne après elle, la retient et lui crie : « Femme, arrête-toi! » c’est bien la symbolisation du mari amoureux et bon qui l’a sauvée et auprès duquel elle vit, indifférente à son égard, tourmentée par ses désirs secrets. L’homme qui l’attire par les cheveux vers le bûcher, c’est l’Inconnu qui l’attend dans le proche futur, c’est l’Homme du Destin dont elle a le pressentiment brûlant. Les autres incarnations de rêve de celui-ci correspondent à des époques du rôle qu’il va jouer dans la réalité. Un jour, avec le même visage, il passera parmi des femmes étendues, dans un lieu de débauche plus précis. Plus tard, il aura la même expression sereine que l’Evêque et prononcera les mêmes paroles : « Va! Retourne à ton foyer ». Enfin, quand il aura lui-même succombé à l’amour, il sera le mendiant douloureux qui refuse les présents qu’on lui offre et se tue.

Le Rêve annonce la Réalité. Je n’ai pas trouvé que la vision de celle-ci fut en désaccord avec celui-là. L’Homme du Destin c’est le détective Z, celui précisément dont les images, dans le livre de ses Exploits, ont suscité et amené le Rêve. Coïncidence voulue, fantaisie qui ne fait qu’accentuer l’emprise du film. La Femme s’éveille et la Réalité se déroule, dans une atmosphère légère et désinvolte qui est, à notre sens, une grande et profonde habileté. C’est le Rêve qui est pesant, fatal, irrémédiable. La Vie, représentée par le film de Mosjoukine, ne le reproduit pas. Elle a bien son aspect trompeur et souriant, son allure dégagée. Elle ne rappelle le Rêve que par les coups successifs, espacés, du Destin. C’est bien ainsi que les choses se passent. C’est peut-être aussi ce qui a dérouté certains. Mais nous ne croyons pas avoir lu d’étonnement sur le visage des spectateurs, aux séances du public et ceux-ci paraissaient emportés par le flot des événements sans se reporter froidement, maladroitement aux épisodes du Rêve. Seuls les visages apparus dans le Pressentiment de début, seules les deux paroles prononcées reparaissent « Femme, arrête-toi! » et « Va, retourne à ton foyer! ». C’est assez.

Oui, les événements se déroulent dans une atmosphère de fantaisie délicieuse. L’excentricité du Club des Chercheurs nous est apparue très supérieure à celle de la foire cubiste du Docteur Caligari. Le décor en est franchement intéressant au lieu d’être une déformation recherchée. Le style y remplace la folie. Les scénes du Chœur des Psychologues sont d’une ironie charmante, nullement ridicule. Elles évoquent l’idée d’une parodie visuelle de ces chœurs d’opérette ou d’opéra-comique que l’on ne pourrait plus réellement parodier tellement ils sont comiques par eux-mêmes. La scène, surtout, où la Femme vient de surprendre Z dans sa chambre en possession d’une précieuse serviette, qu’elle a volée, nous a séduit. Son déroulement en est essentiellement inattendu. Deux adversaires sont face à face, une jeune femme, un jeune homme. Celui-ci a su s’emparer d’un objet auquel l’autre tient. D’abord, elle tente de s’en emparer à nouveau par l’adresse, puis elle supplie, se fait câline, séductrice. Rien n’y fait. Alors, ils parlent. Et, pour la première fois, l’Art Silencieux se substitue sans faiblesse à la scène de comédie. Z apprend que l’attraction de Paris seule retient la Femme, l’empêche de vivre heureuse dans son foyer, de suivre son mari. Ils ouvrent la fenêtre et regardent la place de la Concorde. Ils évoquent des souvenirs de plaisirs et de joie. Ils sont charmants de simple jeunesse. Ils parlent de spectacles, de music-hall, de revues à grande mise en scène, de tours de force, ils les reconstituent, à deux. La serviette, enjeu oublié du duel, joue son rôle muet. Cette scène nous a rappelé la manière de M. Sacha Guitry.

L’émotion, dans cette remarquable bande, n’a rien de facile ni de prévu. Certains duos silencieux de Z et de la Femme ont une noble puissance et se jouent sur des fonds nus qui donnent plus d’acuité encore à l’expression des visages. Les moments de faiblesse de l’homme sont pathétiques par leur simplicité enjouée. La scène des maux de dents, auprès de la vieille grand-mère qui n’en est pas dupe, est véritablement touchante. La joie finale est une explosion de jeunesse où apparaît le double caractère du héros, l’un de rigueur et l’autre franchement humain. De cette dualité difficile, nécessaire au dégagement de l’émotion, de l’héroïsme et de la sympathie, l’auteur s’est tiré avec maîtrise et sans aucune lourdeur.

On ne peut dire que ce dénouement heureux soit illogique. Le mendiant du rêve, en effet, ne se tue pas réellement. Son geste est symbolique de son sacrifice d’amour: ce n’est pas le pressentiment d’un drame sombre. Il faut, d’autre part, proclamer que le Brasier fourmille de qualités. La scène du cabaret de Montmartre est nouvelle, ce qui peut paraître prodigieux, si l’on tient compte de la débauche de restaurants de nuit que nous subissons dans la production cinégraphique de cette année. Son rythme en est prenant, saccadé, tragique, au point que le vaste orchestre de Marivaux peut à peine le suivre et lui paraît inférieur.

La technique de ce beau film est remarquable. Le Club des Chercheurs en est une preuve étonnante et plus encore, peut-être, cette descente d’escalier du cabaret dont le rythme de danse nous installe d’autorité dans la nouvelle atmosphère. Un grand nombre d’idées ingénieuses fourmille. Les négatifs sont inattendus et logiques. Le défilé des ombres devant l’horloge produit une impression marquante.

Le film de Mosjoukine est, à n’en pas douter, une manière de chef-d’œuvre et nous sommes heureux qu’une grande salle des boulevards ait su le montrer au public parisien.

Nous en sommes heureux pour l’auteur, pour nous-mêmes, et surtout, pour cette vaillante Société des Films Albatros, dont l’effort soutenu en faveur du beau film, est un gage de succès certain dans le présent et l’avenir.

Jean Tedesco.