
Paris, Janvier-Février 1921
La Société des Auteurs de films s’est réunie en Assemblée extraordinaire le 15 Janvier, pour s’occuper spécialement de la situation faite aux producteurs, loueurs, exploitants et au public lui-même, par une Censure de plus en plus fantaisiste et abracadabrante. Les plans d’une campagne extrêmement active contre cette institution néfaste ont été dressées.
Ciné pour tous part en guerre contre la Censure. Elle a toujours fait des siennes. Elle continue comme on le verra. Pour montrer jusqu’à quel degré de stupidité le censure du film peut aller en France, mentionnons le cas du roman de Victor Hugo: Quatre-vingt-treize, tournée en 1914 et interdit depuis lors par les censures nommées par les différents ministres de l’intérieur qui se sont succédés depuis cette époque. Enfin, il parait que le veto va être levé avant peu… mais ce n’est pas sur! Conclusion: tout est permis aux théâtres, violentes attaques politiques et grossiers étalages de viande… Rien n’est permis au cinéma si ce misérable cherche à s’évader un peu de la banalité où le spectateur regrette chaque jour davantage de le voir s’obstiner. Et cependant, est-il bien adroit de la part d’un gouvernement, de ruiner le cinéma auquel il doit tant de recettes, de plonger ainsi dans l’obscurité l’écran sur le quel il est bien heureux e faire projecteur ses films de propagande? Rien de nouveau, décidément, sous le soleil. Quatre-vingt-treize aujourd’hui au ciné. Hier, Marion Delorme au theatre…
(Cinémagazine)
Dame Censure a parfois souvent même, d’incompréhensibles accès de pudeur, d’autant plus injustifiés qu’ils tombent généralement à coté. On dirait qu’à l’ombre du confessionnal, son directeur de conscience lui a dit, d’une voix courroucée: “Des mesures de rigueur, ou pas d’absolution!” Et la vieille dame influencée prend, sans hésiter, d’inattendues mesures de rigueur contre le cinéma ou, du moins, contre les films français, car, à de rares exceptions près, tous les films qui viennent de l’étranger semblant être considérés comme absolument sains, moraux, inoffensifs et pourtant!… Sous l’influence d’une vague de récriminations anonymes les pouvoirs publics ont laissé… faire et ces temps derniers, on a censuré, ou du moins, sans crier gare!… on a subitement retiré les visas de censure à trois films français qui étaient en pleine exploitation, Li-Hang le Cruel, L’Homme du Large, et Une Brute.
Les droits artistiques, industriels et commerciaux des auteurs, metteurs en scène, éditeurs, loueurs et directeurs de cinéma, on été méconnus, sacrifiés, violés; et cela, pour satisfaire les errements d’une sacrosaint Routine exhumée pendant la guerre, mais légalement morte depuis des années.
La Constituante supprima en 1789 la censure sur les écrits. La censure de la presse ne fut presque plus exercée depuis 1830, la censure des dessins et estampes, celle qui se rapproche le plus de la plastique visuelle du cinéma, fut définitivement supprimée.
Quant à la censure théâtrale, qui fut rétablie en 1974 à cause des excès pornographiques du répertoire des cafés-concerts, elle fut définitivement supprimée en 1906.
Alors que toutes les manifestations de la pensée littéraire ou artistique sont libres le décret du 25 Juillet 1919 s’est appliqué à maintenir en tutelle l’expansion industrielle et artistique du Film Français sain, probe, honnête, — je les ai tous vus, certains déplaisent, mais aucun n’est immoral, — et gravement concurrencés par les films américains, anglais, italiens, suédois, danois et allemands, avant peu!…
(V. Guillaume Danvers, Sancta Anastasia ora pro nobis!, Cinémagazine)
On s’est beaucoup remué cette quinzaine-ci dans le monde du Cinéma. La faim fait sortir le loup du bois, et la crise bat son plein chez l’éditeur aussi bien que chez l’exploitant. Un peu de solidarité s’affirme entre les différents éléments de la Corporation. On va agir au lieu de bavarder; même, des parlementaires convoqués, adjurés et conquis, promettent de parler de nos misères dans les Commissions et, s’il le faut, jusqu’à la Tribune.
Certes, des problèmes plus immédiats requièrent notre zèle; cependant, il en est un auquel il ne sera pas inutile de réserver un paragraphe du Cahier de Revendications qui s’ébauche: la Censure. La gueuse est toujours vivante et elle ne fut, à aucune époque, plus malfaisante.
(…)
Les artistes s’intéressaient encore fort peu à l’Art muet, les éditeurs ou les exploitants n’avaient point d’armes solides en mains, personne ne remarqua que tout redevenait libre en France, dans notre belle République victorieuse, sauf l’écran. Il fallut de couteuses expériences pour ouvrir les yeux, et, aux premières protestations, on vit réapparaitre les vieux arguments d’autrefois, lutte contre licence, nécessité d’un contrôle d’autant plus indispensable que le cinéma, spectacle populaire, pouvait démoraliser ses natifs spectateurs; il fut acquis que les romans-feuilletons de l’écran, par leurs pernicieux enseignements, accroissaient la criminalité, tandis que ces mêmes romans-feuilletons, publiés depuis cinquante ans au rez-de-chaussée de nos grands journaux, demeuraient inoffensifs. La seule concession fut la transmission des pouvoirs exercés jusque-là par la Préfecture de Police, à l’Administration des Beaux-Arts. Ainsi, la Censure Cinématographique recevait une nouvelle et définitive consécration.
(…)
Certaine maison d’édition achevait une adaptation cinématographique de Quatre-Vingt-Treize le jour même de la déclaration de guerre; un an plus tard, lorsque les salles rouvrirent, on songea tout de suite à faire passer une bande qui avait couté si cher; la Censure suspendit le film jusqu’à nouvel ordre. Vous entendez, on ajourna, sous prétexte de paix sociale, un chef-d’œuvre, qui est une incomparable leçon de patriotisme et d’héroïsme. Le veto a été levé il y a quelques mois seulement, et voici un film qui va paraitre sept années après avoir été tourné; heureusement, par son caractère historique , le talent du metteur en scène Capellani, il échappe ai danger de dater, mais par miracle, dans une production dont les évolutions sont incessantes. En tous cas, voici un capital considérable immobilisé pendant de longues années, alors que l’industrie cinématographique a besoin de toute la sollicitude officielle pour lutter. Le même fonctionnaire examinant , vers cette époque, Les Travailleurs de la Mer, autre chef-d’œuvre d’Hugo, trouvait que la mort de Gilliatt, reconstituée fidèlement d’après un livre consacré depuis un demi-siècle, était un spectacle trop pénible, et qu’il y aurait sans doute avantage à l’atténuer; il recula, cependant, devant le comique de cette collaboration avec Victor Hugo.
Et, tandis que l’on épluche ainsi nos films, on laisse passer les bandes américaines, avec toutes leurs horreurs, fumeries d’opium, enfants martyrisés, femmes suspendues au-dessus de cuves bouillantes; parce qu’il ne faut point indisposer nos amis et redoutables concurrentes qui, d’ailleurs, ont un représentant prêt à les défendre. Vous me direz que, dans la pratique, depuis les heures nouvelles, le fonctionnaire des Beaux-Arts, chargé de ce contrôle, l’exerce avec son tact d’homme de lettres et de parisien averti, mais, tout de même, c’est la Censure, et, demain, Ginistry peut être remplacé par un autre.
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(André Antoine, Censure, Cinémagazine)