
Paris 1901. Les artistes étrangers, qui désirent nous mettre a même de juger de leur talent et de confirmer leur réputation, sont bien en peine quand ils viennent a Paris. Quelque originales que soient leurs qualités, quelque éminente leur personnalité ils ne peuvent guère compter que sur un succès de curiosité, aussi vif d’ailleurs que vite éteint: on se lasse, quand on ne comprend pas. Comment donc Madame Charlotte Wiehe, une Danoise, a-t-elle pu nous consacrer plusieurs mois de suite et obtenir un succès aussi complet à la fin qu’il fut vif et spontané au début?
Madame Charlotte Wiehe chante; c’est même la première chanteuse d’opérette de tous les pays scandinaves, et sa voix de soprano fait, dit-on, merveille à la cour (où elle est choyée) et a la ville. Mais quelle apparence de venir chanter en danois, à Paris, nos propres succès du répertoire, qu’elle s’est presque uniquement assimilés?
Madame Charlotte Wiehe est une comédienne de premier ordre, nous dit-on également, et elle joue la comédie sérieuse comme l’opéra-bouffe. Mais, de nous amener avec elle une troupe danoise et de tenter ainsi nos suffrages, il n’y fallait pas songer.
Madame Charlotte Wiehe n’est pas moins remarquable comme danseuse. Au moins commença-t-elle ainsi sa brillante carrière, par des triomphes en qualité de première ballerine de l’Opéra de Copenhague. Mais quoi? Pouvait-elle se montrer ainsi a nous, avec sa réputation de chanteuse et d’actrice?
Madame Charlotte Wiehe a eu une idée bien plus heureuse, nouvelle et charmante que tout cela : c’est de n’ouvrir pas la bouche. Il restait encore un genre a mettre en lumière, et celui-là ne connait pas les nationalités: c’est le mimodrame. Justement, son mari, un Hongrois, M. Henri Bérény, qui est compositeur et violoniste (élève de Listzt et de Léonard et se taille lui-même ses poèmes, venait, après quelques opéras. d’imaginer un petit mimodrame qui avait été couvert d’applaudissements pendant des centaines de soirées, à Berlin comme en Danemark: Premier Carnaval. Elle lui en demanda un nouveau, en prévision de Paris. et il lui fit la Main. Ce fut là une des rares choses nouvelles et originales de la rue de Paris a l’Exposition universelle.
Depuis plusieurs mois, elle s’est réfugiée dans la coquette mais minuscule salle des Capucines, où tout Paris va l’applaudir. C’est là que nous la croquons pour nos lecteurs, d’après sa triple incarnation de Main, de l’Homme aux poupées et de Premier Carnaval. Ce n’est malheureusement qu’un côté de son talent, mais il n’est pas très malaisé, pour les connaisseurs, de démêler ce qu’il doit être dans l’opérette ou la comédie.
La “petite Lotte” comme on s’est habitué a dire en Danemark — car c’est depuis l’âge de cinq ans qu’elle vécut pour ainsi dire au Théâtre Royal de Copenhague. où son père dirigeait l’orchestre, et c’est a dix-sept ans. après des études complètes à la célèbre école de ballet, qu’elle devint première ballerine — la “petite Lotte” passait couramment pour la Reichenberg danoise. Cela, nous dirons qu’il nous est impossible d’en juger. Fut-elle la délicieuse ingénue qu’évoque ce nom qui restera typique; en eut-elle surtout la sobriété et le style délicat? nous voulons bien le croire. Mais à coup sûr ce n’est pas à une Reichenberg qu’elle nous fait penser ici. A une Réjane plutôt, dont elle a le brio , à une Céline Chaumont dont ella a le raffinement d’expressions mimiques, à une Félicia Mallet, dont elle a la souplesse et la décision; à une Judic peut-être, bien que nous ne connaissions pas sa voix exquise. En somme, il y a un peu de toutes ces artistes, par éclairs; il y a surtout un composé absolument original et charmeur.
C’est une grande et svelte jeune femme, nimbée d’un rayonnement de cheveux blonds, si blonds!…, pied souple, jambe nerveuse, taille fine, gestes précis et harmonieux, grâce exquise des attitudes, visage étonnement mobile et expressif, regard pétillant de malice et au besoin presque tragique. Et c’est , de toutes ses facultés, de tous ses sens, de tous ses mouvements, comme un jaillissement, comme un bondissement perpétuel d’énergie et de verve, de joie intense et de vie fébrile. C’est l’enivrement du mouvement, et si papillotante, si excessive parfois que semble cette dépense de toutes les forces intellectuelles et physiques, on est forcé de convenir qu’elle est naturelle, car elle est toujours juste et sûre. La prestesse de l’action est inouïe, et jamais une gaucherie, un de ces accrocs si fréquents dans la vie factice des planches, ne surgit pour rappeler que c’est è un spectacle que nous assistons et non à la vie même.
(…)
La Main, qu’Ibsen qualifia de «psychologie en action», nous représente un intérieur de danseuse au moment de sa rentrée du théâtre. Un cambrioleur y a pénétré avant elle; il est caché, tandis qu’elle se dévêt et esquisse encore divers pas d’un ballet en répétition. Soudain une main, qui sort de la portière où se cache le misérable, lui apparaît dans la glace devant laquelle elle danse.
Cri d’effroi tout juste étouffé, terreur croissante, car la porte est fermé à clef et la clef est accrochée près de la portière. Enfin, la danseuse retrouve le courage de danser pour cacher son jeu et arrache la clef tout en tournant, puis elle la jette dans la rue où elle a entendue les pas d’un ami. Serait-il trop tard? Le cambrioleur a bondi, il va tuer… Elle s’évanouit. Non, il ne tuera pas; elle est trop belle.
Et tout à l’heure, quand l’ami sera monté, quand il dirigera con revolver sur l’assassin, la danseuse arrêtera son bras et laissera filer l’homme.
Il mimodramma La Main, poema e musica di Henry Bérény, prima al Théâtre Christiana di Stokholm (1899), fu portato al cinema nel 1908, interpreti Charlotte Wiehe, Max Dearly, Coquet, si tratta di una delle prime produzioni Film d’Art (Série d’art Pathé Frères – Societé Cinématographique des auteurs et gens de lettres).